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Langueurs

Face à la mort naît souvent le désir de faire l’amour, de sentir son corps vivre, vibrer. Au temps sublime témoigne d’une peine d’amour et de l’exubérante exploration du plaisir qui s’ensuit.

Roman

Face à la mort naît souvent le désir de faire l’amour, de sentir son corps vivre, vibrer. Au temps sublime témoigne d’une peine d’amour et de l’exubérante exploration du plaisir qui s’ensuit.

Il s’en est noirci des pages sur le thème du deuil amoureux. Pourtant, Au temps sublime, la première œuvre de l’autrice Louise-Amada D. – un pseudonyme –, présente sous un angle singulier les mois qui s’écoulent après une rupture.

La narratrice revient à Montréal après un séjour en France, où elle était avec H., qui avait auparavant partagé sa vie dans la métropole québécoise. Les premières semaines, elle s’installe dans une maison que sa mère a mise en vente. Son existence, c’est un matelas gonflable au milieu d’une demeure vide et de longues balades dans la ville. Elle trouve ensuite un emploi dans un café, puis un appartement. Le matelas sur le sol et les promenades dans les rues qu’elle a connues jadis restent: «Ma liberté me trouait nue au seuil des heures. Durant mes jours de congé, je me perdais dans la ville. J’errais, c’était une liberté légère et sans éclats.» Les déambulations citadines de la narratrice sont propices aux réminiscences: «Quelque chose dans la blancheur du ciel, dans la lourdeur de l’air, me poussait à errer dans la ville. J’avais retrouvé l’atmosphère du premier été en sortant du café.»

L’autrice nomme le quotidien en évitant le banal. Sa plume agile et impudique – tantôt en prose, tantôt en vers – multiplie les images sans basculer dans les clichés. Elle donne à lire langueur et mélancolie avec raffinement:

Ce soir, je suis plongée dans un
    ahurissement
muet. Plusieurs des lieux où nous
    allions
sont désormais fermés, mais je n’aurais
jamais cru que notre rue tout entière
    aurait
cessé d’exister.

Le plaisir

Dans une forme proche du journal, la narratrice explore sa solitude, la nostalgie, ses souvenirs. Dès les premières pages, elle propose une clé pour comprendre ce qui se déploie dans l’œuvre:

J’écrivais pour me dépêtrer du silence, mais écrire me paraissait fastidieux. J’empruntai des livres à la bibliothèque. J’ouvris La Bâtarde et lus les premières phrases. C’était donc ainsi qu’on écrivait un roman? En mettant simplement l’écriture en marche?

À Violette Leduc (1907-1972), elle emprunte, oui, l’écriture de soi, mais aussi de l’intime, de la sensualité. En effet, la seconde partie de l’ouvrage, intitulée «Journal de mes orgasmes», est une accumulation surprenante d’instantanés de jouissance, un exercice de style autour du plaisir que se donne la narratrice:

J’ai été souillée par une phrase
    magnifique
en amont de l’orgasme. Le plaisir est
    un orage
qui foudroie les draps défaits. J’écris
en attendant le métro, dépouillée des     
    images
que mon plaisir a éveillées. Mes
    sensations
sont le plus souvent des choses
    mystérieuses,
fugaces et impénétrables, indissociables
    de l’instant.

Les fragments qui s’amoncellent créent un effet étrange, parfois hypnotisant, par moments peut-être un peu lassant, mais toujours intéressant: «Depuis que mes orgasmes se confondent dans une indéfectible mélopée, je trouve redondant de les retranscrire. Comme si, aussi, l’expérience post-éjaculatoire de mon corps se traduisait à mon écriture qui s’épuise, à bout de souffle, à force d’expulser des mots sur la page.» Décliner dans des dizaines d’occurrences le plaisir solitaire est un exercice qui donne à réfléchir, tant sur le fond que sur la forme: réfléchir à la douleur, qui nous fait quelquefois tanguer vers certains excès; réfléchir à la prodigieuse plasticité de la langue.

Les descriptions en continu de ces orgasmes ne sont pas que lumière. Leur registre s’avère vaste. Il y a certes toutes les nuances du plaisir, mais également la peur. Et, à travers cela, le deuil d’un amour:

J’attends mon plaisir dans la solitude.
J’attends mon seul plaisir, à la fois
    délivrée
de la nostalgie et immergée dans sa
    substance
par les parfums et les sensations.
Après H., il y a ma mémoire. Je
    m’aguerris.

Au temps sublime, «livre-performance» et laboratoire d’écriture, est également un sensible roman de l’intime.

Auteur·e·s
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Article au format PDF
Louise-Amada D.
Saguenay, La Peuplade
2022, 256 p., 23.95 $