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La terre - le ciel - la mer

La terre - le ciel - la mer

Tel un herbier d’images, Quand viendra l’aube collecte des éclats de beauté qui pourraient survivre à la mort.

Thématique·s
Récit

Tel un herbier d’images, Quand viendra l’aube collecte des éclats de beauté qui pourraient survivre à la mort.

Thématique·s

Après le succès éclatant des Villes de papier (Alto, 2018), qui a reçu le fameux prix Renaudot de l’essai, et celui des Ombres blanches (Alto, 2022), suite du premier ouvrage, Dominique Fortier nous revient avec un court projet, qui concerne cette fois l’expérience toute personnelle du deuil. Construit autour de la mort du père de l’autrice, ce récit se déploie en un propos tantôt réaliste, tantôt abstrait, engagé à capturer ce que laisse derrière, c’est-à-dire du côté de la vie, la disparition d’un être cher.

Sans direction claire ni dessein prédéterminé, le livre embrasse l’ambiguïté et le hasard de l’entreprise: «J’écris ces textes au fil de la plume, en me laissant porter par le murmure de la pluie et le fracas des vagues, sans savoir s’ils formeront un livre, deux livres, ou aucun, s’ils appartiennent à un récit, à un roman, à un journal ou à autre chose.» Avec sa plus récente œuvre, Fortier est cohérente et reste fidèle à ce qui avait déjà séduit son lectorat, à savoir sa capacité à saisir, avec justesse et délicatesse, une histoire fuyante et inachevée.

En lieu de l’absence

Quand viendra l’aube déroule un fil que suivait déjà Fortier dans ses œuvres précédentes, celui d’une écriture qui ne serait pas au service de l’événementiel, mais du quotidien, du banal et de la beauté qui en émane. En effet, l’écrivaine faisait référence, dans Les villes de papier, à cette obsession de la critique à vouloir trouver un point de bascule dans la biographie d’Emily Dickinson, qui expliquerait la réclusion de l’autrice et, incidemment, son génie. D’une façon semblable, la démarche de Fortier se situe à l’envers du spectaculaire. L’autrice s’y refuse. Elle se tient loin du pathétisme et de l’emphase que pourrait suggérer un sujet chargé comme celui de la mort. S’attachant aux détails anodins qui peuplent les journées de deuil, le récit calque l’état de contemplation dans lequel se plonge la narratrice, qui répertorie et décrit, telle une collectionneuse, des objets qui évoquent une même sensibilité: les coquillages ramassés sur le sable, les fleurs entourant la maison, les teintes de la mer et celles du ciel. Dans le même geste, elle décline les passe-temps de prédilection – promenades, tricot, casse-tête –, qui conjurent les temps morts. Il s’agit pour elle de «mesurer l’épaisseur des ténèbres, de faire l’inventaire de ce qui existe, de ce qui subsiste, de ce qui reste et de ce qui manque».

Cette tentative de circonscrire la mort amène Fortier à la considérer comme la condition de la littérature, celle-ci consistant à «échafauder une suite à la mort». Dans cet échafaudage en fragments, qui obéit à l’impératif de «mettre entre notre vie et ce que nous écrivons une distance magnifique», l’écrivaine s’adonne à des propos métaréflexifs. Elle s’interroge sur ce qu’est l’écriture; sur ce que c’est, être écrivaine et écrire. Elle demande: «À qui [ces pages] sont-elles aujourd’hui destinées?» Cette question, qui rejoint celle de nombreux récits contemporains (mais pas uniquement) et fait du texte une chambre d’écho des angoisses de la création, en invite une autre, qui concerne, cette fois, les lecteur·rices potentiel·les: pourquoi lit-on (ce livre)?

Une eau tranquille

On aimera Fortier pour son style classique, qui ne laisse rien dépasser, qui n’enjolive rien. On remarquera sa rigueur et sa maîtrise renouvelées dans cette quête du «sens le plus vrai». Ce récit intéressera celles et ceux qui se passionnent pour les effets de miroir et de retournement, lorsque l’écriture tente de se saisir elle-même. Toutefois, on pourra regretter – du fait que l’autrice conçoit comme limitée cette tendance en littérature à «habiller ses propres histoires de manière littéraire en recourant au laborieux truc qui consiste à changer les noms et parfois l’ordre des faits» – qu’il n’y ait pas plus de risques ou d’audace. Tout au long de ma lecture, je me suis dit: voilà quelqu’un qui a bien fait les choses. Elle cite les bonnes personnes et les bons textes. Elle convoque des images justes, joue adroitement avec les symboles et les références, parfois convenus. Elle a répondu aux attentes (que je m’imagine être celles du milieu littéraire).

Ce récit n’est ni mauvais ni renversant. Il est joli et n’inquiète rien ni personne. Il plaira, il me semble, aux lecteur·rices qui lisent avec un but précis: celui d’être contenté·es.

Auteur·e·s
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Article au format PDF
Dominique Fortier
Québec, Alto
2022, 104 p., 18.95 $