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« La radicalité de l’amour »

« La radicalité de l’amour »

Sorte de cartographie du feu, le nouvel essai de Martine Delvaux aborde la peur et l’anxiété face à l’urgence climatique, et convoque tout un monde de possibles porté par l’engagement historique des filles et des femmes.

Essai

Sorte de cartographie du feu, le nouvel essai de Martine Delvaux aborde la peur et l’anxiété face à l’urgence climatique, et convoque tout un monde de possibles porté par l’engagement historique des filles et des femmes.

Dans Pompières et pyromanes, l’écrivaine et professeure entrecroise habilement des liens entre féminisme et pensée écocritique pour développer une réflexion sur la crise du climat et poursuivre celle déjà entamée – on pense surtout ici au livre Le monde est à toi (Héliotrope, 2017) – sur la maternité et les pouvoirs d’une jeunesse mobilisée:

J’essaie de comprendre l’incompréhensible. […] La crise climatique est géante, tentaculaire, médusante. […] Mais ce que je sais, c’est que je veux marcher avec toi à tes côtés, avec toi et parmi les tien·nes, poing levé, hurlant à tue-tête avec vous pour qu’on finisse par vous entendre.

Au cœur de ce tissage, Martine Delvaux explore le feu comme force destructrice et revendicatrice, mais aussi comme présence métaphorique dans le langage. L’essai, présenté sous la forme d’un collage – forme qui n’est pas nouvelle pour l’autrice et qui lui permet d’examiner les facettes de ce feu qui fait rage –, s’ouvre sur des questions anxiogènes: «Comment vivre quand vivre semble insensé? Comment espérer quand le temps est lourd et que l’horizon est bouché? […] Pourquoi se battre quand la lutte semble perdue d’avance?»

«Une filiation de femmes qui portent le feu»

En dirigeant l’attention des lecteur·rices sur ceux – et surtout sur celles – qui portent cette lutte, Delvaux rend un hommage tendre et urgent aux filles et aux jeunes femmes, en cohérence avec la pensée féministe responsable et en partage qui caractérise son œuvre: «Nous devons toutes et tous être des girl eco-warriors comme Greta Thunberg, Autumn Peltier, Xiye Bastida, Scout Pronto Breslin, Sara Lamontage, India Logan-Riley, Nakabuye Hilda F., Vanessa Nakate […].» D’ailleurs, une grande force de l’ouvrage, en plus de son accessibilité et de sa lisibilité, est cette réflexion où se rencontrent la violence historique perpétrée contre les femmes et celle faite à l’environnement. L’essayiste mentionne aussi, entre autres, Jeanne d’Arc, Anne Dufourmantelle, Erin Brockovich, Huguette Gaulin et Joyce Echaquan qui, dans des contextes et à des degrés différents, ont changé le monde et fait l’expérience de sa cruauté et de ses injustices, parfois jusqu’à en mourir. L’essai, qui jongle avec la catastrophe et l’espoir, s’appuie sur ces filles et ces femmes pour montrer, en empruntant les mots du mouvement Extinction Rebellion, que «le problème, ce n’est pas seulement le climat. Le problème, c’est l’écologie. […] Le problème, c’est le capitalisme. Le problème, c’est le pouvoir. Le problème, c’est l’inégalité. […] Le problème, c’est notre incapacité à imaginer une autre façon de faire.»

Pour «une politique de l’amour»

Delvaux examine tant le micro que le macro, le local que le global, pour tenter de comprendre «l’incompréhensible, de saisir ce qui [lui] échappe, de mettre des mots sur ce qui [lui] semble indicible». L’une de ses stratégies est de s’adresser directement à sa fille dans des fragments qui expriment avec lucidité et sensibilité l’enjeu de la culpabilité et de la responsabilité parentale face à la crise climatique: «La culpabilité de t’avoir invitée dans un monde qui avance vers sa perte: la responsabilité de t’aider à ne pas perdre espoir devant un avenir désespéré.» On retrouve dans le livre cette exploration de «l’amour comme manifestation féministe» (Le monde est à toi); un amour pensé, dans Pompières et pyromanes, comme «radicalité»:

On ne parle pas assez de la radicalité de l’amour maternel […]. De l’amour comme bougie d’allumage d’un mouvement révolutionnaire. D’une politique de l’amour à partir de laquelle travailler à repousser, repousser, repousser la haine, avec toute l’énergie du désespoir.

Admirative devant la jeunesse qui s’indigne, solidaire avec elle, l’autrice utilise l’espace du texte pour formuler des questions nécessaires à la hauteur de cet engagement anxieux vécu par sa fille et les autres militant·es: «Comment faire pour s’assurer que l’anxiété climatique serve la justice climatique? Comment pouvons-nous commencer à réinventer ce monde pour que vous puissiez continuer à y vivre? Comment pouvons-nous vous aider à l’investir, à le (re)construire?»

L’essai puise dans la culture populaire, le cinéma, la littérature, les tragédies humaines, la réalité brûlante de l’urgence climatique, le féminisme et l’amour maternel pour aborder cette souffrance partagée, ce désespoir face au sort du monde qui flambe. Un tel désespoir n’est pas une finalité, mais le moteur d’une écriture qui nous confronte à l’inévitable et l’apaise un peu, afin «que dans un lit de cendres on continue à tracer, encore et toujours, les contours de l’amour».

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Article au format PDF
Martine Delvaux
Montréal, Héliotrope
2021, 186 p., 22.95 $