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La liberté artistique, au passé et au présent

La liberté artistique, au passé et au présent

Cet ouvrage collectif réunit dix articles scientifiques fouillés sur la question censoriale, de la Nouvelle-France à nos jours, ainsi qu’un entretien avec Pierre Hébert et une réflexion sur l’université. Avis aux lecteur·rices intéressé·es par la perspective sociologique sur la littérature.

Essai

Cet ouvrage collectif réunit dix articles scientifiques fouillés sur la question censoriale, de la Nouvelle-France à nos jours, ainsi qu’un entretien avec Pierre Hébert et une réflexion sur l’université. Avis aux lecteur·rices intéressé·es par la perspective sociologique sur la littérature.

Mais pourquoi diable ai-je demandé qu’on m’envoie un exemplaire de Liberté et contraintes dans la littérature québécoise? Ma «liste de choses à faire d’ici la fin du printemps» semblait vouloir porter cette décision en appel. Entre l’essai limpide d’une journaliste, un pamphlet à vilipender et une prose poétique lisible d’une traite, j’avais opté pour un ouvrage universitaire de deux cent cinquante pages. Hélas, il me fallait assumer ce choix, que je regrettais déjà en ouvrant la lourde enveloppe postale. J’oubliais alors que c’est au détour des lectures les plus denses, les plus arides, qu’on retire souvent la plus grande satisfaction. La décision, finalement, s’est avérée bonne: ces mélanges sur la censure ont beaucoup à offrir.

Rendre hommage à Pierre Hébert

Ce projet de collectif est né du désir conjoint de Stéphanie Bernier, Marie-Pier Luneau et Pierre Rajotte de rendre hommage à Pierre Hébert, qui a consacré toute sa carrière à déblayer le champ de la censure au Québec: «Le présent ouvrage entend reconnaître ce legs majeur pour les études québécoises en appréhendant sous un angle novateur les questions censoriales et les diverses formes de régulation ayant pesé sur la culture.» Présentée à la fin de l’ouvrage, la généreuse bibliographie des publications de Pierre Hébert, qui compte plus de deux cents entrées, témoigne de l’apport colossal du chercheur à l’historiographie de la littérature québécoise. On constate, en parcourant ces titres, que faire l’histoire de la censure, c’est écrire en même temps sur l’autonomisation du champ littéraire.

Variations sur la censure

Si la structure présentée en introduction («Paroles entravées et voies de contournement», «Contraintes génériques et créativité», «Points de vue sur la contrainte et la liberté») confère une certaine cohérence à l’ouvrage, il en ressort toutefois, à certains moments, une impression d’«actes de colloque». Comme c’est souvent le cas dans les collectifs, les textes sont d’une qualité inégale, et certains s’inscrivent plus ou moins bien dans les grands axes du livre. Or, trois contributions valent particulièrement le détour. D’abord, Lucie Robert porte son regard sur un terrain inexploré par Pierre Hébert, celui de la censure théâtrale. Dans «L’actrice et le journaliste. Les ultramontains et le théâtre», la spécialiste en arts dramaturgiques revient sur une polémique peu étudiée jusqu’ici: celle déclenchée lors de la venue de Sarah Bernhardt au Québec à la fin du XIXe siècle. Cette querelle, opposant Jules-Paul Tardivel et Louis Fréchette, s’est jouée autour d’un poème du dernier auteur adressé à l’actrice. On prend également un grand plaisir à lire l’article, inspiré, de Michel Biron sur les liens entre le vers libre de Saint-Denys Garneau et sa propension à la prose épistolaire. Enfin, Kenneth Landry défriche un pan des conceptions sur la littérature du début du XXe siècle. Il propose une réflexion passionnante et érudite sur l’autocensure à laquelle se serait soumis Camille Roy dans son fameux discours sur la nationalisation de la littérature canadienne-française.

Plus un ouvrage de référence qu’un essai, Liberté et contraintes n’offre pas une «pensée» novatrice, à proprement parler, sur la censure, mais une séquence d’articles scientifiques qui recouvrent différents cas de censure à travers l’histoire. La vocation, autrement dit, est didactique. Les directeur·rices ont d’ailleurs libéré les droits du livre, disponible gratuitement en ligne grâce au soutien financier de la Direction des bibliothèques de l’Université de Montréal.

Un enjeu actuel

On ne saurait trop souligner le caractère opportun de cette publication, l’actualité nous exposant sans cesse à de nouveaux débats sur la censure. On apprécie le clin d’œil aux discours contemporains dans les deux derniers chapitres: Pierre Hébert y prend position sur la liberté d’expression dans le contexte universitaire. Sujet on ne peut plus brûlant, la liberté académique n’est pas ici abordée comme une patate chaude, mais bien de manière frontale. Dans l’entretien qu’il accorde à Stéphanie Bernier, Hébert écrit que «[l]a censure se complexifie [en milieu universitaire], se "privatise" aussi», et qu’à l’aune de ce phénomène, «le terreau est peut-être propice à l’accomplissement de ce propos de Robert Badinter: "La censure est la norme et la liberté, l’exception".»

Liberté et contraintes est un livre vers lequel on voudra se tourner encore dans plusieurs années. Il gagnerait à être augmenté au fil du temps par de nouveaux «mélanges sur la censure».

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Collectif
Montréal, Presses de l'Université de Montréal
2022, 272 p., 34.95 $