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La grande encyclopédie des coquilles

La grande encyclopédie des coquilles

Mathieu Boily réinvente à sa manière la poésie avec un pavé dans la mare – ou un magistral pied de nez aux apparatchiks littéraires.

Thématique·s
Poésie

Mathieu Boily réinvente à sa manière la poésie avec un pavé dans la mare – ou un magistral pied de nez aux apparatchiks littéraires.

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Le poète, né en 1972 et tout juste réinstallé au Québec après avoir œuvré en Russie comme professeur de français, semble faire tourner les têtes sur son passage et jouir d’une aura nimbée d’exotisme. Attire-t-il l’attention du simple fait d’avoir séjourné, comme Tintin, au pays des Soviets? C’est bien possible car dix ans là-bas, c’est long, c’est une vie. Quoi qu’il en soit, je me suis d’abord enthousiasmée pour cette publication, puis j’ai vite déchanté: sa lecture donne à penser que celui qui fut lauréat du prix Émile-Nelligan pour son premier recueil, Le grand respir (Les Herbes rouges, 2001), pratique en ce moment une écriture très risquée, pour ne pas dire suicidaire. Pourtant maîtrisé du début à la fin, ce tour de force stylistique vous mènera par le bout du nez, que vous le vouliez ou non, et vous en fera voir de toutes les couleurs. Vous ne saurez plus si vous aimez Mathieu Boily, si vous vous trouvez au paradis ou en enfer, si vous êtes un lecteur idiot et/ou rétrograde, ni même si vous arriverez à la fin du livre sans vous endormir.

À titre d’exemple, nous pourrions citer les premiers vers. Ce sont les plus faciles, et l’éditeur les a choisis pour orner la quatrième de couverture: «à go je redevient (sic) un/être qui pense je rassemble/à la surface les signaux/de pensée de présence à go/je se refait une présence». On aura compris au moins un truc dès le début «je» est un autre et se conjugue à la troisième personne. Pour le reste, peut-être y a-t-il une clé de lecture? L’auteur débarquerait sur la scène québécoise et espérerait «se refaire une présence» en empruntant le chemin le moins fréquenté? Inventer un sens qui n’existe peut-être pas, voilà à quoi est réduit le lecteur. Car on se demande, en effet, quel est le sens de tout cela. Quelle est l’intention de Boily en écrivant un livre quasi illisible, dont le côté rébarbatif nous le ferait caser entre Joyce et Gauvreau. Un livre qui, il faut bien l’admettre, n’a provoqué chez moi ni curiosité ni plaisir de lecture.

Comment torturer la langue

On a beau s’efforcer de suivre l’injonction de Jacques Lacan, qui intimait au lecteur de ses Écrits d’y «mettre du sien», on se demande par quel bout prendre les vers suivants: «à os le je planche/onge âtre mais tou/rs proté à la jeule». Ou ceux-ci, cueillis au hasard un peu plus loin: «puis jeule ouverte je l’auvent/se parfait l’incognu le jeuta».

Certes, il y a des passages beaucoup plus lisibles, et ce sont eux qui ramènent le lecteur tout ébouriffé sur les rails d’une histoire qu’il ne comprend guère mais dont il soupçonne la gravité.

C’est plus fort que lui
cette vision qui le pousse
toujours à bouffer du mort
à syndrome de stockholmer pa
paman et les parties génitales
à remonter merde et monde

Ici, on pourrait reprocher au poète une tendance futile à modifier des expressions consacrées comme «mer et monde». Mais, d’abord, «Jieux», ça veut dire quoi? «Jeux» ou «Lieux»? Plusieurs décennies après la «palinte osseuse» de Miron, expression née d’une erreur typographique et passée à l’histoire de la poésie, Mathieu Boily — professeur de français, ne l’oublions pas — rentre au pays avec ses coquilles et ses contrepèteries, ses inversions, ses coupures volontairement inexactes, ses syllabes en moins et ses voyelles en trop. On se prend à imaginer qu’il a écrit Jieux avant de quitter le royaume de Poutine et que le projet a représenté pour lui une planche de salut, une sorte de repoussoir des névroses.

Il y a de l’exploit, c’est sûr, et, rappelons-le, une maîtrise certaine dans la folie de ce projet. Pardonnons les jeux de mots faciles comme «la tête avance faut/bien faux bien», car Boily connaît le rôle du corps dans toute écriture:

trouvée et chaque fois c’est
du corps que ça vient ou re
vient lequel corps se lève
et se marche et se jet
à autre chose et le dé
cide ainsi alors lui pour se

L’un des rares plaisirs que le lecteur trouvera à fréquenter ce livre est son refus catégorique de la banalité. Mais, avec cette curiosité parue au Quartanier, la poésie québécoise fait-elle un pas décisif — ou fait-elle un pas tout court? Rien n’est moins sûr. ♦

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Mathieu Boily
Montréal, Le Quartanier
2018, 96 p., 16.95 $