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La classe de Jean-Paul Daoust

La classe de Jean-Paul Daoust
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Bien que j’aie fréquenté le cégep où il a enseigné, je n’ai pas eu la chance de connaître Jean-Paul Daoust le professeur. Je ne peux que l’imaginer, harnaché comme un prince, transmettre sa passion du poème à une classe aussi abasourdie qu’interloquée; ou alors j’ai tout faux. Que sais-je, après tout, des défis rencontrés par un prof gai, poète qui plus est, dans la banlieue du XXe siècle? Cela ne signifie pas pour autant que l’homme ne m’a pas enseigné et ne m’enseigne pas encore énormément. La grande classe de Jean-Paul, bien au-delà de la haute couture, du glamour des Lèvres ouvertes ou du pittoresque de Wooster Street, réside bel et bien dans son engagement sans concession envers et pour la poésie.

Je suis entrée dans l’œuvre, comme plusieurs, par Les cendres bleues, vers la fin des années 1990. Près de vingt-cinq ans plus tard, relisant le recueil au moment d’écrire ces lignes, je demeure éblouie qu’on puisse faire cohabiter ainsi, dans l’écriture, amour et agression, violence et désir, avec autant de sincérité et de nuances. S’il est une leçon essentielle à retenir quant aux pouvoirs et à la portée de la poésie, c’est bien qu’elle sait faire fi des contradictions, les absorber, les transmuter, ou simplement leur permettre de nicher ensemble, au cœur sensible de la métaphore, bien plus harmonieusement que dans la vie. Je l’ai apprise, pour ma part, en lisant cette œuvre phare de Jean-Paul, qui ne m’a plus quittée. Au fil de ses autres livres, j’ai entrevu qu’on pouvait souffrir de toute beauté, comme il l’écrit dans 111, Wooster Street, et dès lors survivre aux expériences les plus traumatiques comme à «l’apocalypse de l’enfance», dans un abri fait «de mots et de silence» (Odes radiophoniques VI).

Entre l’humour et la provocation, la mélancolie et l’émotion, Valleyfield et le Michigan, en passant par Sainte-Mélanie, où Daoust ne manque pas de s’impliquer dans la vie culturelle, l’œuvre est multifacette et s’attache justement à jouer avec les frontières, à repousser les barrières avec une élégance inimitable. Certes, Jean-Paul a quelque chose d’un prince, mais ça n’a rien de hiérarchique, car ses livres embrassent avec la même tendresse les dandys et les déshérités, les Champs-Élysées et le boulevard Taschereau, la poutine et la poésie avec un grand «P» (si tant est qu’une telle chose existe). On le croisera ainsi dans les grands festivals d’ici et d’ailleurs, mais aussi au café d’un cégep excentré, à l’occasion du lancement d’une revue de création étudiante, ou dans les bars plus ou moins exigus de la rue Saint-Denis, toujours prêt à livrer l’une de ses performances hautes en couleur avec la plus sincère générosité.

Rien d’étonnant à ce que Jean-Paul ait hérité de ce qui se rapproche le plus d’un rôle de poète public, à travers sa participation hebdomadaire aux cabarets de Plus on est de fous, plus on lit!. Durant un peu plus de dix années, il a réitéré son dévouement envers la poésie en composant chaque semaine une ode inspirée de l’actualité, démocratisant un genre encore malheureusement considéré par plusieurs comme hermétique ou élitiste. Conscient du privilège de tenir chaque semaine un micro qui lui était dédié, il a aussi profité de la tribune pour faire connaître les livres d’autres poètes qui l’ont saisi, invitant l’auditoire à les découvrir.

C’est d’ailleurs grâce aux Odes radiophoniques que j’ai eu la chance de côtoyer Jean-Paul de plus près, ayant eu l’honneur d’éditer les six tomes. Il faut me croire, ce peut être intimidant de collaborer au livre d’un poète-monument, d’un Desgent ou d’un Daoust, par exemple, quand on a la trentaine et une expérience relativement jeune de l’édition. Pourtant, dès le premier tome, et chaque fois que l’exercice s’est renouvelé, travailler avec Jean-Paul aura été une rigoureuse partie de plaisir. Le poète et l’homme n’ont rien de surfait, ils fusionnent en un écrivain à l’écoute, au service du texte, et plus radicalement encore de la poésie, à laquelle il se voue sans concession depuis plus de quatre décennies.

Et ça, combiné à tout ce qui précède, c’est ce que j’appelle avoir de la classe; beaucoup de classe.

JP


Née à Montréal en 1978, Kim Doré détient un diplôme de maîtrise en études littéraires de l’Université du Québec à Montréal. Autrice de quatre recueils de poésie, dont Le rayonnement des corps noirs (prix Émile-Nelligan, 2004), elle est à la barre des éditions Poètes de brousse depuis bientôt vingt ans.

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