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La bibliothèque imaginaire de Gérald Leblanc

La bibliothèque imaginaire de Gérald Leblanc

Une incursion dans les lectures, la musique et les idées qui inspirèrent un poète d’une importance monumentale pour l’Acadie.

Thématique·s
Correspondance

Une incursion dans les lectures, la musique et les idées qui inspirèrent un poète d’une importance monumentale pour l’Acadie.

Thématique·s

Gérald Leblanc a figuré vraisemblablement parmi les acteurs culturels les plus importants de l’Acadie du xxesiècle. Il fut le principal parolier du groupe 1755, publia douze recueils de poésie, un roman, et fut membre fondateur et directeur littéraire des Éditions Perce-Neige pendant de nombreuses années.

Pour ceux qui ne connaissent pas bien l’Acadie des années 1970, le groupe 1755 inspira toute une génération de musiciens, avec ses mélanges de styles folk, country et rock. Mais dans les années 1970, il n’y avait pas que la musique qui changeait le monde en Acadie. L’arrivée de voix authentiques en poésie, dans une langue qui ressemblait à celle du peuple, était du jamais-vu, jamais entendu. La publication de textes poétiques dans la langue locale a eu l’effet d’une bombe sur la culture acadienne moderne.

Bref, sans vouloir faire une leçon d’histoire, il est tout de même important de mettre cette œuvre en contexte, puisqu’elle est d’une valeur documentaire et historique essentielle; ce que le texte de présentation fait d’ailleurs ressortir avec brio. Tirées du fonds d’archives Gérald-Leblanc, Lettres à mon ami américain constitue la première publication épistolaire de Leblanc. Au fil des cent soixante et une lettres, écrites pour la plupart durant l’effervescence des années1960 et1970 (même si la correspondance se termine en 2003), le lecteur découvre un Leblanc loquace et passionné,
qui n’était alors qu’un petit jeune avide de livres, d’idées et de musique.

Improbable amitié

La correspondance débute alors que le cousin du poète, Gilles, revient d’un voyage aux États-Unis avec l’adresse de Joseph Olivier Roy: une connaissance d’ascendance acadienne qui, selon Gilles, aurait beaucoup de points communs avec le jeune poète. Sans jamais l’avoir rencontré, Leblanc écrit à Roy sur la foi des quelques atomes crochus pour la musique et pour les livres qu’ils partageraient. Ayant affaire à un Américain, le poète tend la perche en déliant tout ce qu’il connaît de plus passionnant sur la littérature canadienne, sans toutefois s’y limiter. L’étincelle porte feu et l’échange devient vite prolifique,
à raison de plusieurs lettres par semaine, comptant souvent plus d’une dizaine de pages. Les toutes premières lettres étaient en anglais, parsemées de quelques mots français, mais très rapidement, le français envahit la totalité des pages…

Un document important

Ce qu’il y a de plus intéressant dans cette correspondance, c’est cette opportunité absolument extraordinaire d’apprendre à connaître Gérald Leblanc avant son arrivée dans sa ville de prédilection: Moncton, qui saura, plus que toute autre, faire couler son encre. À cette époque, le poète se cherche encore entre Saint John et Bouctouche. Le lecteur ou la lectrice a donc l’occasion de découvrir en toute intimité les lectures, musiques et événements qui ont formé sa pensée au cours de ces années. Les fans de Leblanc apprécieront les lettres du jeune poète, qui ont souvent l’air d’un genre de chronique littéraire intercalée d’éclats de musique, de films ou d’actualité, parsemée de faits divers sur sa vie personnelle. J’ai moi-même beaucoup apprécié les passages où il parle d’auteurs comme Marie-Claire Blais ou André Gide, qu’il lisait avec une telle passion qu’il devait retenir son élan afin de mieux apprécier le style, la sagesse, ou les mots exquis de ces auteurs. Ses lectures d’auteurs américains, québécois et français, mises en relation avec ce qui se passe dans sa réalité immédiate, éveillent l’auteur à la possibilité d’une culture distincte et vivante en Acadie. Cette relation épistolaire nous ramène sur les pistes de celui qui imaginera et aidera à la réalisation d’une nouvelle Acadie, renaissant sous le signe de la modernité et du cosmopolitisme.

Même si la valeur documentaire de cette compilation est sans équivoque, au point de vue de la fluidité de la lecture, je regrette un peu le fait de ne pas avoir droit aux réponses de Joseph Olivier. Je comprends la décision éditoriale (qui est d’ailleurs bien justifiée dans le texte de présentation) et j’aime bien le fait que cela nous donne droit à plus de Leblanc… mais je ne peux m’empêcher d’avoir l’impression que mon plaisir de lectrice est en quelque sorte mis de côté au profit de la valeur documentaire. Comprenez-moi bien, j’ai beaucoup aimé connaître ce Leblanc tout fringant, ce qu’il aimait lire et écouter, mais au bout de quelques lettres, le rythme de la lecture est brisé trop régulièrement pour soutenir l’élan qui nous incite à ne plus vouloir déposer le livre. J’aurais espéré quelque chose qui, par exemple, aurait ressemblé un peu plus à Doors Wide Open (Viking Press, 2000), cet échange épistolaire entre Kerouac et Joyce Johnson qui se lit comme une histoire et sait garder le lecteur en haleine jusqu’à la fin. Faut croire qu’on ne peut pas tout avoir…

Auteur·e·s
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Article au format PDF
Sarah Brideau
Sudbury, Prise de parole
Agora
2018, 518 p., 32.95 $