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Je préfère faire une overdose de Frida Kahlo que de Blanche Neige

Je préfère faire une overdose de Frida Kahlo que de Blanche Neige
Exorde

Au retour de la garderie il y a quelques mois, ce moment parfois chaotique, parfois magique, où naissent toutes sortes de conversations brillantes, saugrenues ou chignardes, notre fils était plus qu’excité de me raconter une histoire découverte lors de l’heure du conte : Les trois petits cochons.

Ajoutant autant de détails qu’il le pouvait, il me racontait cette histoire avec l’enthousiasme de quelqu’un qui me faisait découvrir quelque chose et je constatais qu’effectivement, je n’avais jamais lu cette histoire avec lui. Ni celle-là, ni Cendrillon, ni Blanche Neige et les sept nains d’ailleurs. Sans m’en rendre compte — ou sans que ce soit du moins un choix conscient — j’avais omis la grande majorité des contes classiques de nos moments de lecture.

Et ce n’est pas parce qu’on ne lit pas. Au contraire. Dans ma vie de parent faite de dizaines d’incertitudes, de petites et de grandes angoisses, il y a une enclave où j’ai toujours du plaisir, où je doute peu de moi : lorsqu’il est question des livres. Les moments de lecture avec mon fils sont parmi mes préférés.

Souvent, je constate avec admiration la manière dont les livres arrivent à réunir les enfants qui, chez nous, ont une grande différence d’âge. Comment ils rigolent des mêmes blagues, se passionnent pour certaines histoires ensemble, malgré les années qui les séparent. Mon cœur fond chaque fois que les grandes de mon chum se blottissent contre leur petit frère pour lui faire la lecture.

J’aime beaucoup les livres pour enfants. J’aime les albums magnifiquement dessinés avec très peu de texte, qui laissent place à l’imagination, comme Le jardin invisible de Marianne Ferrer et Valérie Picard (Monsieur Ed, 2017). J’aime les histoires complètement absurdes et hilarantes qui ne proposent aucune morale, juste du plaisir. J’aime les livres qui abordent des enjeux de l’enfance comme plusieurs albums de Simon Boulerice ou Anatole qui ne séchait jamais de Stéphanie Boulay et Agathe Bray-Bourret (Fonfon, 2018). J’aime les récits poétiques ou amusants qui racontent la vie de personnages historiques, celle de l’artiste Louise Bourgeois (Une berceuse en chiffon, Isabelle Arsenault et Amy Novesky, La Pastèque, 2016) ou du plus connu homme fort montréalais (Le grand Antonio, Élise Gravel, La Pastèque, 2014). Je trouve ça merveilleux qu’en 2018, notre aînée puisse me dire quelque chose comme « Ah, encore Frida Kahlo dans un livre ! »

Il se passe quelque chose de merveilleux avec notre littérature jeunesse et il y a peu de choses qui me réjouissent plus que de le découvrir, jour après jour, avec les enfants.

Je me suis quand même posé la question, quelques fois : est-ce que j’ai eu tort de laisser de côté les contes traditionnels ? Est-ce que je prive ainsi les enfants de quelque chose d’important ? Habitée par un petit doute — encore —, je suis allée lire les analyses de spécialistes décortiquant ces histoires : Blanche Neige qui éveille aux enjeux de la puberté, Le petit chaperon rouge à la tentation sexuelle et Peau d’âne — entre vous et moi, pas mal l’un des plus effrayants contes avec Barbe Bleue — à l’interdit de l’inceste, et je me suis dit qu’ils ne manquaient pas grand-chose.

Je n’ai pas envie de préparer les enfants au monde des adultes comme ça. J’ai envie de leur donner le goût de la lecture, de l’imaginaire. Si les livres que je leur lis ne leur offraient que ça, ce serait déjà beaucoup. Et s’ils aiment un jour Blanche Neige, je préférerais que ce soit pour le plaisir de cohabiter dans l’imaginaire avec des nains sympathiques ; Cendrillon pour la magie de la citrouille qui se transforme en carrosse.

En fait, j’ai envie de leur donner envie de lire, tout simplement.

Et s’il faut apprendre quelque chose en lisant, j’embrasse pleinement ce qui se fait depuis quelques années, les magnifiques livres inspirés de personnages historiques, dans la littérature jeunesse d’ici et d’ailleurs. Il y a visiblement dans toutes ces publications quelque chose de l’ordre de la tendance, mais s’il y a une mode où j’embarque complètement, c’est celle-là. C’est peut-être pour ça que ça fonctionne aussi bien : les parents de ma génération rêvaient de ces livres-là.

Pendant que je me questionne sur les livres que je mets à la disposition des enfants, il reste que pour plusieurs, il est tout à fait normal de fréquenter une école sans bibliothèque. Que faute de moyens ou d’habitudes de lecture, une maison sans livres aussi, ça se peut. L’autrice Dominique Demers — qui a bercé mon enfance, puis mon adolescence avec Un hiver de tourmente et Les grands sapins ne meurent pas —, bref, Dominique Demers, celle qui est en couverture de ce numéro avec sa fille Marie, celle qui a fait de la lecture des enfants un cheval de bataille, a lancé au printemps 2018 un livre vendu un dollar, lequel s’est écoulé en quelques heures dans les librairies. Parce que le besoin d’ouvrages jeunesse accessibles est criant. Je dis ça en sachant très bien qu’il y a plein d’enseignantes extraordinaires qui y remédient en emmenant leurs élèves dans les bibliothèques municipales, là où c’est possible, ou en achetant elles-mêmes, à même leur salaire, des livres jeunesse pour leurs élèves. Qu’il y a plein d’éducateurs et d’éducatrices allumé·es qui essaient de pallier ce que, collectivement, on fait encore un peu tout croche. ♦

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