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On jase...

Les Presses de l’Université de Montréal, par le biais de leur collection «Art +», rendent hommage au parcours d’un important historien de l’art au Québec, François-Marc Gagnon. Malheureusement, l’ouvrage déçoit plus qu’il ne suscite l’enthousiasme.

Essai

Les Presses de l’Université de Montréal, par le biais de leur collection «Art +», rendent hommage au parcours d’un important historien de l’art au Québec, François-Marc Gagnon. Malheureusement, l’ouvrage déçoit plus qu’il ne suscite l’enthousiasme.

Depuis l’immense biographie d’Edmund Alleyn, publiée en 2017 par Gilles Lapointe, le format de la collection, laquelle «propose le résultat des recherches récentes en histoire de l’art», a été réduit et épouse désormais les dimensions plus conventionnelles d’un essai tout en conservant son élégance première. Les matériaux sont demeurés les mêmes – couverture cartonnée et embossée du logo, papier satiné –, et le livre est agrémenté de plusieurs reproductions couleur de photographies d’archives et de couvertures d’ouvrages de François-Marc Gagnon.

Aux commandes de ce collectif, Gilles Lapointe et Louise Vigneault, accompagné·es d’une dizaine de collaborateur·rices, tentent de définir l’apport de l’historien, nommé officier de l’Ordre national du Québec en 2015. Personne ne niera l’importance du corpus et l’implication de Gagnon dans la transmission de l’art au Québec, mais cet hommage livresque est en deçà des attentes.

Bavardage

À l’instar de la couverture grisâtre, la lecture de l’ouvrage fait penser – il est bien triste de l’admettre – à une longue journée pluvieuse. Le parcours de Gagnon étant linéaire et normatif pour l’époque, une lassitude s’installe assez vite tant les redites des différent·es intervenant·es sont nombreuses. Quelques textes éclairent toutefois certains pans moins connus de la carrière de l’historien, par exemple son intérêt pour les arts de la Nouvelle-France et pour la conversion des Autochtones par l’image, ou encore ses liens avec l’artiste brutaliste Jean Dubuffet. Ce qui est assez rafraîchissant, étant donné que Gagnon est très souvent associé au mouvement automatiste, et plus particulièrement au peintre Paul-Émile Borduas.

Le livre contient aussi de très belles contributions qui synthétisent parfaitement l’influence de Gagnon, doté d’une conscience scientifique aiguisée. Je pense à l’essai de Rose Marie Arbour, plus proche de l’hommage que le sous-titre le laisse sous-entendre. Bien qu’un tantinet bavard, un texte comme celui de Denis Longchamps expose des recherches plus pointues de Gagnon, comme celles sur la figure humaine, thème d’une «série sur les âges de la vie», ou celles sur les techniques qu’il utilisait afin de bien comprendre un tableau. Loren Lerner, quant à elle, relate et analyse l’histoire des publications de l’universitaire. La façon dont elle aborde ce parcours, son écriture fluide et directe ainsi que les études de cas qu’elle présente redonnent du souffle à l’ouvrage. Les témoins plus près de Gagnon (ou du moins, qui semblent l’être) donnent un meilleur aperçu de la «petite» histoire. Dans ces passages, l’essai prend tout son sens et parvient à développer notre intérêt, par exemple lorsque Gilles Lapointe évoque la réception de la biographie monstre sur Borduas et qu’il décortique la probable rivalité (assez amicale, soit dit en passant, et plutôt d’ordre intellectuel, en vérité) entre le critique René Payant et Gagnon lui-même. Dans ce «récit» d’une critique, qui pourrait paraître banal et laborieux aux yeux de certain·es, il est possible pour les lecteur·rices de déployer une plus large lecture de l’histoire de l’art.

Célébration

Cependant, le collectif demeure assez bavard, et on remet souvent en question la prolixité des collaborateur·rices. Pourquoi prendre dix pages, alors que quatre ou cinq auraient suffi pour faire valoir son point de vue ou montrer un aspect du travail de l’historien? Sans parler de l’abondance de notes de bas de page, qu’il aurait sans doute été possible de reléguer à la fin de l’essai vu qu’elles n’apportent pas toujours de quoi se sustenter. Au cours de ma lecture, j’ai eu l’impression par moments d’assister à une soirée entre ami·es parsemée de discours qui, bien que sincères, s’étirent et sont passablement ennuyeux.

S’agit-il d’un vrai ratage, ou ai-je été trompé dans mes attentes? Je m’en voudrais d’être injuste, mais il n’y a rien de plus décevant que de traîner, comme un poids derrière soi, un livre qui semblait rempli de promesses. L’aspect réjouissant de cette démarche réside dans la célébration des artisan·es de l’histoire exerçant, encore aujourd’hui, une influence sur la pratique. Mais est-ce là une véritable fête? L’ensemble est tiède et au demeurant pas très engageant pour les lecteur·rices. Serait-ce dû à une quelconque retenue essayistique des chercheur·ses? Chose certaine, le plaisir n’est pas au rendez-vous – et je ne parle pas d’un simple plaisir divertissant, mais d’un plaisir de découvertes et de savoirs. Ce livre pourra intéresser les historien·nes passionné·es, mais il est la preuve véritable que se rappeler et célébrer le parcours d’une personne et y juxtaposer des recherches sont des exercices de haute voltige.

Auteur·e·s
Individu
Type d'entité
Personne
Fonction
Auteur
Article au format PDF
Gilles Lapointe, Louise Vigneault
Montréal, Les Presses de l'Université de Montréal
Art +
2021, 222 p., 39.95 $