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Infuser le silence

Dans ce premier recueil sobre et efficace, Justine Lambert identifie les plantes sauvages qui l’entourent. La posture naturaliste l’aide notamment à traverser l’épreuve du deuil.

Poésie

Dans ce premier recueil sobre et efficace, Justine Lambert identifie les plantes sauvages qui l’entourent. La posture naturaliste l’aide notamment à traverser l’épreuve du deuil.

«Dire le tout petit, c’est énorme»: telle est la devise de la jeune maison d’édition Omri, qui publie des recueils de poèmes aussi soignés que discrets. J’aime cette humilité ambitieuse – ou cette ambition teintée d’humilité? – qui nous change du ton parfois criard de la poésie contemporaine. Lyrisme maîtrisé, sobriété dans l’emploi des images, douceur de la voix: tous ces éléments qui caractérisent l’écriture du premier livre de Justine Lambert – une «artiste pluridisciplinaire qui travaille pour Air inuit», ai-je appris en naviguant sur la toile – font écho au programme éditorial de la maison. Il y a dans Il fleurit une posture teintée de modestie qui attire ma sympathie: «les plantes indigènes/fleurissent pour elles seules// secrètes/fragiles/éphémères», écrit l’autrice qui se sent «concernée» par la végétation des lieux qu’elle parcourt. Que cherche-t-elle ainsi, la Flore laurentienne de Marie-Victorin sous le bras, dans la solitude des forêts nordiques? Du thé du Labrador, comme elle le suggère dans un poème? Des bleuets? «J’arrache les silences/de la roche-mère», note à un certain moment Justine Lambert, «pour les infuser/lentement».

Une poésie naturaliste?

Dans un espace géographique qui pourrait être celui de la Côte-Nord ou du Grand Nord, la poète explore un territoire vaste et solitaire; elle marche, «ampoules aux pieds», sur un chemin chargé de mémoire. Jamais nombriliste, cette écriture est tournée vers le dehors, c’est-à-dire vers l’observation de la nature, des particularités géographiques ou végétales. Un vocabulaire riche et précis révèle qu’elle «habite un caoudeyre» (une dépression creusée par le vent dans le sable des littoraux); il nous apprend en outre à identifier le «raisin-d’ours», la «salicorne» et le «cambium». On observe l’«asclépiade» et la «mycorhize». Rien de précieux ou d’hermétique dans cette précision lexicale: Lambert cherche plutôt à nommer ce qui l’entoure. Nommer pour mieux comprendre. Nommer pour mieux habiter le territoire.

Un tel rapport à la nature, à l’observation des plantes et des particularités géographiques, nous situe sur le terrain du nature writing. Cette poésie ne possède pas l’ampleur des proses d’Annie Dillard, mais elle s’inscrit dans une mouvance nord-américaine et québécoise à laquelle on pourrait associer la littérature autochtone et un auteur comme Jean Désy. Il suffirait de peu pour que cette poésie s’élève au-delà de l’intimisme naturaliste. Pour qu’elle fasse entendre quelque chose qui se situerait au-delà de ce qu’elle nomme:

dans le départ
des oies sauvages
un avertissement
se loge
du balcon de vos maisons
c’est un tonnerre silencieux

Apprivoiser la mort

À l’échelle de la littérature québécoise, les références à la Flore laurentienne ne sont évidemment pas nouvelles. L’intérêt de Il fleurit repose surtout sur la manière dont l’observation de la nature permet à l’écrivaine de traverser l’épreuve du deuil:

j’entrepose ses paroles
à un endroit souvent délaissé
pourtant vital

 

entre
les bourgeons et les rhizomes
il persiste

Qui est ce «il»? De quelle manière persiste-t-il? On ne le saura jamais tout à fait vraiment, mais on apprend au fil des pages qu’un homme de l’entourage de la poète vieillit («il bûche ses épreuves/en cordes de tristesses/son corps le quitte/pendant que les chiens/courent dans le chemin») et qu’il finira par mourir. Cet homme aimé, qui pourrait être un père ou un grand-père, est porteur de sagesse. On constate aussi que son décès est envisagé comme une fusion dans un grand Tout: «je comprends/l’état de ses paysages// je lui souhaite d’habiter un endroit/en lui/qui apaise». Les plus beaux poèmes du recueil donnent à la mort un visage rassurant. Mourir, c’est «absorbe[r] /les odeurs inédites» de la forêt. C’est apprendre à s’effacer au profit de ce qui nous dépasse. La nature accompagne le deuil; les fleurs et les arbres préservent la mémoire des disparus: «à sa mort/l’urgence/de transplanter ses vivaces//près des érables/il fleurit».

Rien d’extravagant dans cette poésie. Rien de déroutant, mais plusieurs vers apaisants qui donnent envie de partir en forêt, un guide des fleurs sauvages à la main, pour apprendre à donner un nom à ce qui nous entoure. «Je ne serai jamais seule», remarque Justine Lambert à la toute fin de son errance. C’est parce que nommer les éléments de la nature permet de lui donner un visage. Un visage humain qui aide à apprivoiser la perte.

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Justine Lambert
Montréal, Omri
2021, 57 p., 20.00 $