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François-Xavier Garneau, écrivain et historien

François-Xavier Garneau, écrivain et historien

L’historien Patrice Groulx consacre un livre admirable à François-Xavier Garneau, dont l’Histoire du Canada peut être considérée comme une réponse au rapport Durham.

L'échappée du temps

L’historien Patrice Groulx consacre un livre admirable à François-Xavier Garneau, dont l’Histoire du Canada peut être considérée comme une réponse au rapport Durham.

Au printemps 1838, lorsque le bateau de John Lambton accoste les côtes du Bas-Canada, ce noble a encore en tête des images de la Russie qu’il a quittée l’année précédente à titre d’ambassadeur. Sous le nom de Lord Durham, il débarque dans la belle société de Québec, avec pour mission de faire un rapport sur ce qui peut être exécuté, au plus vite, afin que le calme colonial revienne se poser, tel un linceul, sur le pays des érables.

À la suite des soulèvements de1837 et1838, neuf rebelles ont été pendus sur les quatre-vingt-dix-neuf condamnés à mort. Il a semblé plus simple, finalement, de déporter ces révoltés jusqu’en Australie. Plusieurs centaines d’autres prisonniers ont été entassés, en plein hiver, dans des cachots glacés. Même en se couchant les uns sur les autres, en alternance, ils peinent à ne pas mourir gelés. Leurs familles sont brisées. Nombre de maisons, dans les campagnes des environs de Montréal, ont été pillées et incendiées par les troupes de Sa Majesté.

Les jambes de la révolution sont bel et bien cassées tandis que sa tête, Louis-Joseph Papineau, se trouve en exil pour éviter de la perdre. Tout le monde sait que les autorités l’ont mise à prix. Pour sa capture, au nom d’un complot de «haute trahison», la couronne offre «4000 piastres de récompense». Une somme énorme dans un pays pauvre.

Dans la nébuleuse de l’État colonial et de ceux qui vivent dans son ombre, l’arrivée de Lord Durham est plutôt vue, dans ce contexte trouble, comme une bonne nouvelle. C’est qu’une réputation le précède. Celle d’un esprit éclairé, raisonnable, réfléchi, bien qu’enhardi d’une haute idée de lui-même. On compte sur lui en tout cas pour faire retomber la tension et repenser l’expression de cette nation où l’on veut bien croire, en certains milieux, qu’il est possible d’être des Anglais parlant français.

Entre ses parties de chasse aux gibiers d’eau, le notaire François-Xavier Garneau, un clerc de province, tente à cette époque de gagner sa vie, passant d’une fonction de gratte-papier à l’autre. Garneau a pris l’habitude de publier, dans les journaux de Québec, quelques vers auxquels il consacre ses temps libres. Faute d’en voir paraître de meilleurs, on tient les siens pour bons. Lui vient doucement par ailleurs l’idée d’écrire l’histoire de sa société. Ce qui ne l’empêche pas d’offrir un poème sirupeux, en ce printemps 1839, pour saluer avec enthousiasme, le plus chaleureusement du monde, l’arrivée de ce Lord Durham.

Mais Garneau, très bientôt, va déchanter. Comme plusieurs observateurs, il constate qu’il y a méprise sur ce personnage. D’ailleurs, Durham ne fait que trois petits tours dans la colonie avant de s’en retourner mourir en son pays, atteint de la tuberculose.

L’émissaire de la couronne britannique avait une solution toute trouvée pour la colonie des érables. Il y propose de retenter, en quelque sorte, le coup par lequel l’Angleterre protestante a soumis l’Irlande, à peine quelques années plus tôt, par l’entremise d’une union politique forcée où le vote n’est envisagé que comme un instrument qui confirme le bon droit d’une telle domination. Il y aurait beaucoup à dire sur cet excellent travail de Groulx, historien méticuleux et spécialiste des questions liées aux commémorations et au patrimoine.

En fondant dans un même ensemble le Haut et le Bas-Canada, comme plusieurs esprits pro-britanniques le réclamaient déjà, Durham éconduit toute volonté de continuer de discuter du régime politique en place. Il ramène aux limites d’un simple affrontement national un problème colonial et monarchiste, comme si le discours d’émancipation des patriotes était soudain tenu pour vain, pour non avenu dans le champ des possibles.

Dans ce jeu de bascule politique dont il maîtrise à son avantage l’usage du contrepoids, Durham en appelle, depuis les hauteurs de sa fonction, à écraser ceux que l’on va bientôt commencer à nommer les «Canadiens français». Voilà un peuple sans histoire et sans littérature, écrit-il. Ce ne serait qu’un service à rendre à l’humanité, autant qu’à eux-mêmes, que de veiller à les assimiler au plus vite.

Bien monté en selle sur un récit édifiant qui place la conquête anglaise comme un principe vivifiant de civilisation, le rapport de Lord Durham suggère que ce peuple français des rives du Saint-Laurent est incapable de grandes choses par lui-même. Cette vision, François-Xavier Garneau va se dépenser à la contester, trouvant dans l’union forcée de 1840 un repoussoir qui l’encourage à matérialiser sa volonté d’écrire l’histoire du monde qui est le sien.

Garneau perçoit ce en quoi l’Acte d’union est catastrophique. Les habitants du Haut-Canada (Ontario), quoique bien moins nombreux que ceux du Bas-Canada (Québec), se voient accorder une représentation égale au Parlement, sans compter que la carte électorale est remaniée pour favoriser l’élément britannique au Bas-Canada. Les dés étant pipés, les dominants et leurs descendants ont évidemment beau jeu de croire que le résultat de la partie tient à leur supériorité intrinsèque. Les représentants de la couronne ne se gêneront d’ailleurs pas pour rappeler, dans le cadre colonial victorien, la suprématie anglo-saxonne.

Détruire le mythe

Comme l’explique l’historien Patrice Groulx dans un livre admirable qu’il vient de publier au sujet de François-Xavier Garneau, celui-ci veut s’employer à détruire le mythe de la nation immobile, cristallisé par Durham, «en rendant à la collectivité son mouvement, sa profondeur, son origine et sa finalité».

Il y aurait beaucoup à dire sur cet excellent travail de Groulx, historien méticuleux et spécialiste des questions liées aux commémorations et au patrimoine. Les pages de son François-Xavier Garneau, poète, historien et patriote, rédigées dans une langue souple, doivent être saluées pour ce qu’elles sont: une formidable contribution à la connaissance, à la fois pour le champ de l’histoire et pour le champ de la littérature.

Depuis la première édition de son Histoire du Canada en 1845, retouchée et altérée par la suite, au nom d’une morale ultramontaine, Garneau avait fini par tomber du côté des oubliés dont on brandit les noms sans se préoccuper d’aller voir ce qui se trouve derrière. Garneau était, pour ainsi dire, passé à la trappe de l’histoire, n’étant plus cité, tout au plus, qu’à titre d’estimable devancier, sans qu’on songe tellement à préciser ne serait-ce que la silhouette de ses idées.

Dans la présentation de l’Histoire du Canada, parue en format de poche à l’enseigne de Bibliothèque québécoise (BQ) en 1996, une édition d’ailleurs bien incomplète, Gilles Marcotte écrivait à quel point il fallait espérer que quelqu’un, enfin, daigne se consacrer à vraiment étudier les propos de François-Xavier. Voilà qui est fait.

L’historien Garneau travaille à la limite de ses forces, au point d’y laisser sa santé, confiant en l’importance de son œuvre, même si les chiffres de vente, toujours dérisoires, sont loin de lui donner raison sur le moment. Mais à quoi bon l’argent, puisque son nom en vient bientôt à se couvrir d’or?

Cependant, le travail historique colossal de Garneau aurait bien pu ne jamais s’achever. En 1847, alors qu’une épidémie de typhus frappe le Bas-Canada, Garneau est gravement malade. Pour vivre, ce serviteur de l’appareil public occupe alors des fonctions de greffier à la Ville de Québec. Il est forcé de se faire remplacer. La société n’a pas encore été étatisée par des usages sociaux qui nous semblent maintenant aller de soi. Aussi est-il attendu du malade qu’il supplée lui-même à son absence, c’est-à-dire qu’il trouve un remplaçant et le rémunère!

Garneau apparaît gonflé par l’exemple de la Pologne, ce pays écrasé par le tsar et mis sous la tutelle russe. Encore jeune, il va publier une ode à la courageuse Pologne. Animateur d’un journal, L’Abeille canadienne, il y fait paraître des descriptifs de la Pologne, de même qu’un hymne en hommage à ce pays. Quand la bibliothèque parlementaire de Québec déménage dans la nouvelle capitale, Kingston, Garneau compare la situation au pillage des bibliothèques polonaises par l’aristocratie russe. Tandis que, enfin connu et reconnu, il se prend à rédiger, vingt ans après les avoir vécus, des souvenirs de son séjour en Europe, la mainmise russe sur la Pologne lui revient une fois de plus en tête pour évoquer la nature de la condition des siens. «Si l’Angleterre n’a pas volé au secours de la Pologne durant les années 1830, écrit-il, c’est en partie parce qu’elle cherchait ici même "à détruire sourdement une nationalité".»

Garneau a la conviction, écrit Patrice Groulx, que «l’histoire permettra aux Canadiens de se découvrir, et d’adopter la voie qui leur permettrait de se maintenir». C’est bien ce qui l’anime, malgré tout. Et pour comprendre cette époque, sur laquelle se fonde la société québécoise d’aujourd’hui, ce livre apparaît d’emblée comme un incontournable.

 

Patrice Groulx
François-Xavier Garneau.
Poète, historien et patriote

Montréal, Boréal
2020, 282 p., 29,95$

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