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Ficelles

Dans son Petit manuel des amours toxiques, Véronique Papineau explore (longuement) son sujet de prédilection: le couple, dans ce qu’il a de pire.

Roman

Dans son Petit manuel des amours toxiques, Véronique Papineau explore (longuement) son sujet de prédilection: le couple, dans ce qu’il a de pire.

«Je le quitterai quand j’en aurai la force.» C’est à la fois un souhait et une promesse qu’Alice sait ne pas pouvoir tenir. Pourtant elle s’y accroche, et nous avec elle, tout au long de ce troisième opus de Véronique Papineau. Si son précédent roman, Les bonnes personnes, por tait sur la vie après une séparation, son Petit manuel des amours toxiques s’articule autour d’une rupture aussi nécessaire qu’inaccessible. L’autrice y renoue avec les thèmes qui lui sont chers — le couple, l’adultère, les choix que l’on fait: partir ou rester?, de même que la maladie mentale, évoquée notamment dans le recueil Petites histoires avec un chat dedans (sauf une). À la différence qu’ici le chat a été remplacé par un chinchilla, sautillante métaphore d’Alice et des obsessions qui tourbillonnent dans sa tête.

Le mauvais rôle

La protagoniste a le début de la trentaine quand elle rencontre Renaud, sur la Côte d’Azur, où elle rumine l’infamie d’une existence de célibataire (c’est elle qui le dit). Même si cet homme n’est pas du tout son genre, elle se laisse prendre au jeu: un souper, un dernier verre, «la langue de Renaud dans sa bouche», une relation sexuelle, son numéro à elle dans sa poche à lui. Et, une semaine plus tard, un coup de téléphone. Récurrentes dans l’œuvre de Véronique Papineau, les références à la comédie surgissent ici, montrant à la fois l’importance démesurée que porte l’homme d’affaires aux apparences et le rapport malsain — dominant/dominée — qui s’installe déjà:

Il lui avait semblé se retrouver dans un scénario dont elle venait tout juste d’apprendre qu’elle y tiendrait un rôle principal, mais dont elle ignorait les répliques, avec une mise en scène scrupuleusement réalisée par Renaud et de laquelle elle ne pouvait pas déroger.

Il est, de fait, trop tard pour baisser le rideau: bientôt, Alice forme officiellement un couple avec celui qui parle tant qu’on le croirait «en performance devant public». Les phrases assassines,
les regards condescendants, les petites et grosses agressions s’enchaînent. Cinq ans plus tard, Renaud la manipule avec tant de doigté qu’elle n’arrive plus à se faire confiance. Il lui a tout pris: sa santé mentale (elle multiplie les crises d’anxiété), ses amis, sa passion et son travail (elle ne dessine plus, alors qu’elle gagnait sa vie comme illustratrice — elle est dorénavant femme à la maison). Sans compter qu’elle est la mère d’un petit garçon, qu’elle aime mais qu’elle ne voulait pas forcément, ayant toujours associé la maternité à une «forme d’asservissement». Un sombre présage qui aura tôt fait de se réaliser; Jonas est, en effet, l’ultime chaîne à ses pieds.

Le couple, c’est (presque) tout

Alice le sait, le geste le plus banal peut servir de munition à Renaud: oublier de tirer la chasse d’eau, par exemple, ou avoir prévu une piñata pour une fête d’enfants — laquelle offre certaines des scènes les plus réussies du roman, au croisement du parfaitement futile et du tragique. Cette violence insidieuse qui s’immisce partout, cette aliénation qui amène l’héroïne à se ranger du côté de son bourreau sont à la fois fascinantes et insupportables. Littéralement colonisée, la protagoniste va même jusqu’à reprendre à son compte les tactiques et les discours déloyaux de Renaud, au désespoir de son amant.

Si les mécanismes sournois de la manipulation sont bien montrés, ils sont parfois dilués dans des explications évidentes et répétitives sur la situation périlleuse que vit Alice. Autre faiblesse: le personnage de la jeune femme lui-même, qu’on aurait souhaité plus entier. Peut-être l’a-t-on voulu ainsi, pour souligner les effets dévastateurs de l’emprise de Renaud, mais il reste qu’on a plaqué ici et là des allusions à ses «intérêts», à ses «valeurs profondes», à sa «vision du féminisme», sans les déployer nulle part. Toutes ses réflexions s’articulent autour des hommes, que ce soit celui qu’elle voit en cachette ou le père de son enfant.

Bien que ce Petit manuel des amours toxiques reprenne certains codes du roman sentimental ou de la chick lit — des genres qu’on a souvent associés au travail de Véronique Papineau —, il s’en écarte aussi, par la fin notamment. Il faut dire que l’autrice n’a pas l’habitude des dénouements heureux. Loin des «romans de gare sans substance» honnis par l’héroïne, Papineau aborde des sujets graves, tels que la dépression. Cependant, les manifestations de la perversité de Renaud, comme les verres d’alcool d’Alice, s’enfilent à un rythme infernal; l’histoire aurait été plus forte, il nous semble, avec davantage de retenue. Les allers-retours dans le temps, s’ils sont efficaces, ne suffisent pas à éviter cette impression de redondance, cet essoufflement. La plume vive, le regard affûté et l’humour caustique de l’autrice non plus.

C’est indéniable, Véronique Papineau connaît sur le bout des doigts les créneaux qui sont les siens. Mais on peine ici à réprimer le sentiment de se trouver en terrain trop connu, au cœur d’une histoire qui semble ne jamais vouloir finir. ♦

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Véronique Papineau
Montréal, Leméac
2018, 256 p., 24.95 $