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Fêter avec les libraires

En mai 2018, le Prix des libraires célébrait ses vingt-cinq ans. Nous avons demandé à cinq libraires quel ouvrage n’aurait jamais dû remporter les honneurs, mais aussi, leur titre préféré gagnant du dernier quart de siècle.

Fêter avec les libraires

En mai 2018, le Prix des libraires célébrait ses vingt-cinq ans. Nous avons demandé à cinq libraires quel ouvrage n’aurait jamais dû remporter les honneurs, mais aussi, leur titre préféré gagnant du dernier quart de siècle.

KIM LEBLANC
Libraire, Librairie Paulines (Montréal)

Quel ouvrage n’aurait jamais dû remporter un prix des libraires?

Je me souviens que lorsqu’est venu le temps, en 2013, de choisir les finalistes parmi les titres de la liste préliminaire,
le livre d’Éric Dupont, La fiancée américaine, a soulevé bien des questions concernant les politiques de vote du prix. Je savais qu’il serait le grand gagnant, car la sortie du livre avait polarisé la critique et le public. Or ce prix qui souhaite «[…] faire reconnaître le rôle du libraire, qui consiste à guider et à stimuler son client sur le terrain de la curiosité» échoue lorsqu’il y a un titre qui fait l’unanimité, laissant ainsi dans l’ombre d’autres romans qui mériteraient d’être lus. Peut-être que le lauréat pourrait être choisi par le jury et non par les libraires, comme c’est le cas actuellement? D’autant plus que les libraires du jury ont lu tous les livres de la liste des finalistes et qu’ils sont à même de choisir en faisant fi du consensus.

Quel est ton ouvrage préféré dans tous ceux qui ont gagné depuis 25 ans?

Une des beautés du Prix des libraires est de faire connaître — via la liste préliminaire — des livres dont on ne parle pas ou peu, et des premiers romans d’auteur·es qui gagnent à être découvert·es. C’est grâce à cette liste que j’ai lu Ma vie rouge Kubrick de Simon Roy (Boréal, 2014). L’auteur fait se répondre en écho les thèmes de l’amour filial, de la violence et de la folie dans une œuvre à mi-chemin entre l’essai et le roman. C’est de loin un des romans québécois qui m’a le plus ébranlée ces dernières années!

MARIE-HÉLÈNE VAUGEOIS
Copropriétaire, Librairie Vaugeois (Québec)

Quel ouvrage n’aurait jamais dû remporter un prix des libraires?

Je suis une ardente partisane du fait que le prix ne peut être gagné qu’une seule fois par un·e auteur·e. Cette règle m’incite à réfléchir au roman comme faisant partie de l’œuvre de l’écrivain·e et je veux donc souligner l’importance du titre lauréat non pas uniquement face aux autres livres en lice, mais en regard du travail de l’artiste. J’ai toujours eu l’impression que Music Hall de Gaétan Soucy avait remporté le Prix des libraires en 2003 pour les mauvaises raisons. Ce n’est certes pas un mauvais livre, au contraire, mais on le lui a peut-être remis pour se faire pardonner de ne pas avoir couronné son œuvre majeure La petite fille qui aimait trop les allumettes publiée quelques années plus tôt.

Quel est ton ouvrage préféré dans tous ceux qui ont gagné depuis 25 ans?
Mon préféré,à l’inverse, est un ouvrage de Michel Tremblay qui a remporté le Prix des libraires tout en étant l’une de ses œuvres phares, Un ange cornu avec des ailes de tôle. Il est le deuxième lauréat de l’histoire du prix et en lui remettant son trophée pour ce texte qui raconte sa relation aux livres, on a bien sûr souligné l’importance de cet écrivain, mais également la grande qualité de ce titre en particulier. Lorsque je regarde la liste des livres qui ont remporté le prix ces vingt-cinq dernières années, je suis épatée de constater à quel point la plupart sont devenus des classiques de notre littérature.

 

OLIVIER BOISVERT
Libraire, Librairie Marie-Laura (Jonquière)

Quel ouvrage aurait dû remporter un prix des libraires?

Le cadavre de Kowalski, premier roman de Vincent Brault publié chez Héliotrope en 2015, n’a pas reçu les égards mérités. Portée par une inventivité qui nous confond sans nous perdre, cette fiction immersive annonçait l’entrée en scène d’une voix franche et distincte. Trop hybride et bizarre pour figurer sur la liste du Prix des libraires, cette œuvre affiche pourtant une sagacité dans l’expression et une sobriété dans le déploiement que l’on retrouve peu dans la littérature fantastique moderne. Se placer à la croisée des genres confine parfois les auteur·es dans des catacombes magnifiques, mais solitaires. Ces lieux semblent inspirants, car La chair de Clémentine confirme l’immense talent du jeune auteur…

Quel est ton ouvrage préféré dans tous ceux qui ont gagné depuis 25 ans?

En remportant le Prix des libraires en 2015, Silo de Hugh Howey est la preuve qu’un roman de science-fiction post-apocalyptique, qui n’a rien d’un best-seller générique, mérite d’aspirer aux grands honneurs. Dystopie non racoleuse, ce récit au rythme enlevant et au souffle appuyé reprend des enjeux philosophiques cruciaux et les actualise avec sapience. Le mythe de la caverne, l’aliénation des masses, la judiciarisation excessive de nos sociétés sont autant de thèmes abordés avec une habileté rappelant celle d’un Philip K. Dick. Plébisciter ce roman signifiait également honorer toute une tradition littéraire susceptible de forger une critique effective de notre époque, époque qui revêt parfois la forme d’une véritable et détestable uchronie…

SHANNON DESBIENS
Libraire, Les bouquinistes (Chicoutimi)

Quel ouvrage n’aurait jamais dû remporter un prix des libraires?
Ouf… Ce n’est pas le genre d’exercice auquel je suis habituée. Je ne suis libraire que depuis 2009, alors il a fallu que je révise la liste pour me faire une idée d’ensemble et tout de suite, deux titres m’ont sauté aux yeux: La cérémonie des anges et Annabelle de Marie Laberge. En fait, ce n’est pas la qualité des ouvrages qui me pousse à avancer ces titres, mais plutôt de voir que cette auteure, qui avait reçu quelques années auparavant de grandes vagues d’amour de la part des libraires du Québec, ait désiré un jour, soudainement, de se retirer du processus pour vendre ses livres elle-même. Je ne crois pas qu’elle aurait eu ces votes si nous avions vu le futur.

Quel est ton ouvrage préféré dans tous ceux qui ont gagné depuis 25 ans?

Encore une fois, je ne soulignerai pas la qualité littéraire de mon choix (car entre vous et moi, presque tous sont supers! Les autres, je ne les ai juste pas lus), mais plutôt une situation où ces titres sont rattachés à de merveilleux souvenirs: en 2016, l’année où j’ai reçu le Prix d’excellence de l’Association des libraires du Québec, j’ai eu le plaisir de monter sur la même scène qu’Anaïs Barbeau-Lavalette, dont La femme qui fuit venait tout juste de me rentrer dedans! Cette année fut aussi récompensé L’amie prodigieuse d’Elena Ferrante, roman puissant qui s’insinue tranquillement dans nos cœurs. (En fait, je ne l’ai pas lu, mais écouté! Vive le livre audio!)

JEAN-PHILIP GUY
Libraire, Librairie du Soleil (Ottawa)

Quel ouvrage n’aurait jamais dû remporter un prix des libraires?

Parfois il faut faire confiance à son instinct. Quand vous m’avez demandé de vous faire ce petit texte, c’est automatiquement Silo de Hugh Howey qui m’est venu à l’esprit. J’ai regardé les finalistes de cette année-là pour me rappeler pourquoi, j’ai eu une telle réaction. Et là, je les ai vus et je me suis rappelé ces superbes candidats: Karl Ove Knausgaard, Maylis de Kerangal et Sophie Divry, qui regardaient des lignes de côté pendant que ce feuilleton leur ravissait ce prix. Malgré son intrigue divertissante, on ne retrouve rien dans Silo qui en fasse un ouvrage inoubliable, qualité qui, pour moi, fait le meilleur Prix des libraires.

Quel est ton ouvrage préféré dans tous ceux qui ont gagné depuis 25 ans?

Il y a de ces ponctuations qui éclatent comme de la dynamite. Ce dernier point à la fin du Quatrième mur de Sorj Chalandon est de celles-là. Je me souviens d’être resté abasourdi par le terrible destin de Georges, le personnage principal. C’est vraiment un roman d’une beauté cruelle. Il est beau, car presque tout le long, j’ai espéré que cette Antigone multiconfessionnelle serve de point de départ à une quelconque réconciliation. C’est cruel car j’y ai cru, un moment. J’ai été pris au piège par cette utopie qui sera détruite, complètement, et ça, ça c’est grandiose.

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