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Etapikapau

Diplômée en arts interdisciplinaires et en ethnologie, Maude Pilon publie dans les petites maisons d’édition depuis quelques années. Elle signe, au Lézard amoureux, un livre surprenant et tout à fait hors-norme.

Poésie

Diplômée en arts interdisciplinaires et en ethnologie, Maude Pilon publie dans les petites maisons d’édition depuis quelques années. Elle signe, au Lézard amoureux, un livre surprenant et tout à fait hors-norme.

Maude Pilon évolue depuis dix ans dans le milieu de la performance et des lectures publiques, et travaille souvent dans le cadre de résidences d’artiste ou d’auteur. L’une d’elles, organisée par Panache Art Actuel à Sept-Îles, lui a d’ailleurs permis d’écrire ce livre fascinant. Au premier abord, le lecteur se sentira peut-être pris au dépourvu par ce projet poétique qui ne donne aucun indice.

Le titre, Quelque chose continue d’être planté là, est la traduction du mot innu etapikapau, qui évoque la durée de vie d’un message «écrit» sur le territoire et qui permet au marcheur qui le trouve de s’orienter. S’il ne le trouve pas, le voyageur reste planté là et demeure «muet».

Prenons la première page: «Un texte est constitué d’un ensemble d’objets longs: tiges, branches, bouts. Cet agencement pris dans le sol occupe beaucoup le marcheur. Il faut dire que c’est érigé et que c’est au milieu.» On est donc dans l’univers de ceux qui parcourent les terres qu’ils habitent, les Autochtones au premier chef — cela n’est pas précisé, mais on le suppose. Ces personnes ne lisent pas un texte, elles le «marchent».

Partout la poésie

Maude Pilon est allée à la rencontre des gens qui ont travaillé, analysé, dénombré ces signes de pistes. Aussi ses poèmes — ou son long poème en prose, disposé en une colonne au centre de la page et donnant une impression de dénuement — sont souvent accompagnés d’une note en bas de page, qui renvoie au compte rendu d’un de ces témoins privilégiés. Par exemple:

Il est fréquent de confondre l’intérieur et l’extérieur. C’est-à-dire le mot et le paysage. Le point de départ serait: la forêt est vert forêt et les deux s de glissement rappellent ce qui glisse. La forêt dont il s’agit pourrait s’enfoncer dans le corps. À l’aide d’un poing qui pousse au bout d’une branche. La verticalité prolongerait les membres, le trajet aussi. L’ombre portée des arbres à côté des objets longs plantés là brouille le texte. De la piégée, il n’y a que la queueE.

E. Récit de vie du chasseur Mathieu Mestokosho, en 1970. Sur chacune des cent quatre-vingt-onze pages, on compte au moins une mort.

Malgré les appels de notes, la poésie circule dans ce court livre (trente-sept pages de texte), lequel a le mérite de nous emmener ailleurs. S’intéresser à un enfilement de becs d’oiseaux sur une branche, qui constitue un message pour le marcheur, n’est certes pas courant:

Décrire longuement la mousse à la personne qui l’interprète et qui la trouve gentille dans une réunion spontanée sur le langage de la forêt. La rive était le bout de son bras. Le dernier lac avant le retour était la fin du printemps que son talon reconnaissait. Il serait très surprenant de retrouver un lieu qui n’est pas maintenu ouvert. Son bras était plus long à la fin de l’été.

Le projet de Pilon eut été tout autre si elle avait choisi d’écrire des vers épurés, ciselés comme des bijoux. (De cela, il se produit au Québec une quantité phénoménale. Devant les nouvelles cohortes de poètes qui naissent spontanément, j’avoue avoir perdu le fil depuis un moment, et je m’interroge souvent sur l’intérêt d’une telle surabondance. Cependant, c’est aussi dans ce foisonnement que naîtront les grands poètes.) La prose d’Etapikapau, quant à elle, propose au lecteur une expérience poétique nouvelle et déroutante: mais dès lors que l’on accepte d’accompagner l’auteure sur la piste des signes, le livre se donne volontiers, et l’on trouve l’idée vivifiante.

Le travail de Maude Pilon s’apprécie sûrement davantage lorsqu’il est présenté dans un contexte de performance, mais cette jeune artiste nous touche, nous confie ici non seulement les détails d’un univers dont on ignore tout, mais également des extraits du dialogue qu’elle a pu avoir avec ceux qui en maîtrisent les codes. Comme quoi le salut du lecteur se trouve peut-être quelque part sur la Côte-Nord.♦

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Maude Pilon
Montréal, Le lézard amoureux
2017, 48 p., 13.95 $