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Et si l'amour n'était qu'un mot

Et si l'amour n'était qu'un mot

On soupçonne derrière le titre Si c’est ça l’amour d’amères déceptions, de grands désenchantements. Faut-il encore croire à l’amour? Perd-on son temps à le chercher?

Nouvelle

On soupçonne derrière le titre Si c’est ça l’amour d’amères déceptions, de grands désenchantements. Faut-il encore croire à l’amour? Perd-on son temps à le chercher?

C’est le genre de questions que se posent les protagonistes des onze nouvelles du recueil de Bronwen Wallace, pour la plupart des femmes dans la quarantaine, mères d’adolescents récalcitrants, souvent divorcées, menant une existence terne dans de petites villes de banlieue. L’auteure nous les présente dans des moments critiques de leur vie.

Prenons Katherine, la narratrice dans «Aux tréfonds de mon cœur», divorcée, mère de deux filles de quatorze et neuf ans. Elle vient d’entamer une relation avec Mike et se prépare à aller passer la fin de semaine chez lui. Il téléphone et semble soudain moins enthousiaste, moins sûr de lui. Le temps s’arrête, Katherine vacille.

À présent, je pense qu’on ne parvient jamais à surmonter quoi que ce soit, on trouve seulement une façon de porter le fardeau avec soi...

Ce fardeau, Lydia, l’héroïne de «Chalet suisse», le porte aussi. Chez elle, il prend la forme d’un sentiment d’empathie envers le monde entier. Pour l’instant, elle et ses trois enfants attendent qu’une table se libère dans la rôtisserie où ils vont manger. Elle aperçoit une femme en chandail du même vert que ses yeux. «Vos yeux éclairent tout le restaurant», ne peut-elle s’empêcher de lui dire à l’oreille, à la grande honte de ses ados. Lydia n’a pas eu la vie facile. Abandonnée par son mari avec trois enfants en bas âge, elle les a élevés seule tout en terminant son diplôme d’études secondaires. Elle occupe à présent un poste important au service d’obstétrique d’un hôpital après avoir été infirmière.

Les enfants

L’amour, ou souvent le non-amour des enfants, occupe une place prépondérante dans ces tristes histoires. Et cause les blessures les plus douloureuses.

Je pense à Brenda, l’adolescente dans «Les arcanes de la mode», fascinée par une voisine, Stella, mère décontractée de trois garçons, toujours en train de se maquiller, de fumer des cigarettes et de boire du café, qui écoute comme une amie ses confidences, l’amène au cinéma et lui donne de jolis vêtements. Pas comme sa mère à elle, répugnante quand elle fait ses ablutions dans la baignoire le matin. Lee, la narratrice de «Sur le bout de la langue», éprouve un mépris semblable à l’égard de son père, de son «humour grognon et son vieux chapeau bosselé et graisseux». L’idée que leurs parents puissent avoir une «vie conjugale» dégoûte Brenda et Lee. Et que dire de Tracey, dans «La belle vie», qui retrouve à la maison sa mère alcoolique affalée sur le divan du salon, ronflant, la bouche ouverte, comme sa propre mère avant elle. Alors Tracey rêve d’une autre vie.

Tout n’est pas rose pour les mères. Dans la nouvelle éponyme, «Si c’est ça l’amour», Allison souffre d’allergies alimentaires. La voir recracher la nourriture dans son assiette rend sa mère «folle de rage». Dans «Mal de dos», Barbara sent que quelque chose ne tourne pas rond chez sa fille Kate. Mais celle-ci la repousse quand Barbara tente d’écarter de sa joue une mèche de cheveux.

La violence masculine

La violence se glisse entre les ruptures, les divorces. La jeune Kate de «Mal de dos» est battue par son petit ami. Le père du petit Stephen, de «Ces êtres à qui l’on confierait sa vie», lui écrasait une cigarette allumée sur les fesses quand il mouillait son lit. Dans «Sur le bout de la langue», une femme a été «tripotée» dans son enfance par le dentiste à chacune de ses visites.

Si j’ai apprécié la justesse et la compassion avec lesquelles l’auteure dépeint les petites et grandes misères de ses contemporains, j’ai néanmoins déploré que les personnages, féminins surtout, soient à ce point interchangeables. On a l’impression de se retrouver encore et toujours devant la même quadragénaire frustrée, impuissante, flouée par la vie. Et seule, finalement, malgré les enfants (qui souvent la rejettent). Si un petit éclat de lumière éclaire à l’occasion la grisaille ambiante (l’amitié de quatre femmes qui se réunissent pour faire la fête «chaque troisième mardi du mois» dans «Ces êtres à qui l’on confierait sa vie»), leur vie reste étriquée, leur existence, sans joie.

J’ai également été agacée par le côté trop franchouillard de la traduction. Les personnages qui s’exclament «putain!» ou «mince alors!» à tout bout de champ. Ceux qui mangent du «cheese-cake» aux «myrtilles», portent des «moufles» et boivent leur café dans une tasse à l’effigie d’un «clébard». Est-ce un choix du traducteur? Ou celui de l’éditeur (pourtant montréalais)? N’empêche que j’aurais préféré reconnaître l’atmosphère des petites villes ontariennes où l’action se déroule.♦

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Bronwen Wallace
traduit de l'anglais (Canada) par René-Claude Dubois
Montréal, Les Allusifs
2017, 264 p., 22.95 $