Aller au contenu principal

Ensemble, singulièrement

Dossier

Le message était signé Yara El-Ghadban: une invitation à faire entendre ma voix sur les questions liées à l’immigration et à l’altérité, dans le cadre d’un cercle de parole réunissant des auteur·rices de la diversité et des citoyen·nes du quartier d’une bibliothèque municipale. J’étais invitée en tant que femme québécoise qui avait connu l’immigration ailleurs, en France, là où s’appeler Abdelmoumen n’avait pas été simple. J’étais revenue un an plus tôt d’un long séjour là-bas, de douze ans. Nous étions en 2018. Yara El-Ghadban m’écrivait au nom d’un organisme qui s’appelait l’Espace de la diversité.

Je me suis empressée d’accepter et le jour de l’activité, j’ai découvert un lieu où étaient réunis des gens calmes, assis en cercle. Nous étions en quelque sorte tous et toutes l’autre de quelqu’un dans cette pièce. Guidé·es par Yara El-Ghadban, nous avons tenté d’en parler. La surprise: c’était sans complaisance, sans faux-fuyants, sans craindre les moments plus difficiles, mais toujours dans le respect.

Quelques mois plus tard, je retrouvais le même Espace de la diversité dans le lieu qui lui était réservé au Salon du livre de Montréal, cette fois pour faire découvrir mon expérience de l’immigration telle que décrite dans mon dernier livre. J’étais entourée d’auteur·rices qui avaient immigré ici, ou qui avaient d’une façon ou d’une autre connu cette expérience. La solidarité autour de la table était palpable, et la curiosité de l’assistance également. Ici aussi, nul discours lénifiant, nulle complaisance. Plutôt une véritable rencontre au cours de laquelle les aspects difficiles du vivre-ensemble, tout autant que sa nécessité, ont été abordés.

L’année d’après, dans un autre salon du livre, des autrices liées à ce que l’on pourrait appeler la diaspora arabe du Québec, dont votre toute dévouée, étaient réunies par l’Espace de la diversité pour faire découvrir aux lecteurs·rices montréalais·es la grande sociologue et intellectuelle féministe marocaine, Fatima Mernissi, et parler du rôle de son œuvre dans nos vies – et de la manière dont le féminisme peut, lui aussi, être décolonisé.

Yara El-Ghadban menait toutes ces activités de manière étonnante, singulière, audacieuse, indispensable. J’apprenais qu’elle était née à Dubaï de parents palestiniens. Elle était arrivée au Québec comme réfugiée dans les années 1980 après avoir connu plusieurs fois l’exil forcé, après avoir connu la guerre et les camps de réfugiés. Maîtrisant l’arabe et l’anglais, elle avait appris le français. Cette langue de sa terre d’accueil était devenue sienne à ce point qu’elle l’avait choisie comme langue d’écriture.

Parce qu’en plus, elle avait écrit trois romans, L’ombre de l’olivier (2011), Le parfum de Nour (2015) et Je suis Ariel Sharon (2018) tous parus chez Mémoire d’encrier – où elle est également éditrice désormais –, en plus d’un essai cosigné avec Rodney Saint-Éloi, Les racistes n’ont jamais vu la mer (2021), et d’innombrables chroniques, articles, conférences. Toujours, dans ces prises de parole, le même travail, le même but: encourager les personnes à échanger même quand la conversation est difficile. Passer par la littérature, la discussion, les mots, pour faire un pas les un·es vers les autres, sans faire semblant que c’est simple – mais sans pour autant renoncer à essayer.

Ce que Yara El-Ghadban, son travail, son engagement ont d’unique est palpable à la lecture de ce dossier. On est frappé·e de voir l’élan des collaborateur·rices à dialoguer avec elle ou avec son œuvre plutôt que d’en présenter des analyses arides. C’est d’ailleurs le cas jusque dans notre cahier Vie littéraire, où Laura Doyle Péan lui consacre sa chronique, et où Ralph Elawani entame une collaboration spéciale, série de trois textes sur deux auteurs fétiches de Yara El-Ghadban, Mahmoud Darwich et Edward Said.

Ensemble, singulièrement. Ce sont ces mots que Gilles Bibeau a donnés pour titre à l’article qu’il signe ici. Ils m’ont semblé l’intitulé idéal de l’ensemble de ce dossier portant sur le travail et le parcours de Yara El-Ghadban. Car c’est en ces termes, où se mêlent solidarité et reconnaissance de l’autre, qu’elle nous invite, auteur·rices, lecteur·rices, citoyen·nes, à vivre, à travailler, à rêver et à imaginer le futur.

Auteur·e·s
Type d'entité
Personne
Fonction
Auteur
Article au format PDF