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En quête de lumière

Dans l’orbite de la thématique acadienne, un portrait sombre parsemé d’images lumineuses.

Thématique·s
Poésie

Dans l’orbite de la thématique acadienne, un portrait sombre parsemé d’images lumineuses.

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Je suis moi-même Acadienne, originaire d’à peu près la même région que Jonathan Roy, mais j’avoue que j’ai dû fouiller un peu pour la définition du mot « savèche » du titre. J’ai fait ma petite recherche, mais c’est à la page 130 du recueil que j’ai trouvé ma réponse : le mot est un acadianisme qui « désigne un papillon de nuit ».

Si je mentionne ce fait lexical, c’est pour souligner à quel point l’Acadie abrite un peuple marqué par la diversité : en moins d’une centaine de kilomètres, on rencontre plusieurs accents et vocabulaires différents. Les réalités sont multiples et changeantes d’un endroit et d’une ville à l’autre ; de la même manière, l’auteur collectionne les images et les personnages, brossant ainsi un portrait réaliste et éclaté de son monde.

Ce portrait atteint son apogée au dernier texte du recueil, « Voix rurales (patch) », un poème d’une dizaine de pages, où la locution « une voix » (suivie d’une image) est répétée à près de deux cents reprises, créant l’effet d’une chorale unissant les mal-aimés qu’on n’entend / n’écoute pas souvent : « une voix ignorée », « une voix salie comme les mains qui la parlent », « une voix qui a appris à fermer sa djeule », « une voix avec le plus haut taux d’analphabétisme au pays ». Mais d’autres voix s’expriment haut et fort, insufflent la fierté dans la chorale, en convoquant des noms et des citations tirés de la poésie et de la musique néo-brunswickoises — un name-dropping typique des poètes acadiens de la modernité, que connaît bien Roy, lui qui pressentait ne pas pouvoir éviter de « citer [des] acadiens ».

Ironie, autodérision et anti-folklore

L’auteur m’en voudra sans doute un peu d’avoir sauté à pieds joints dans l’acadienneté de son ouvrage, alors qu’on sent une forte envie de s’éloigner du stéréotype de l’Acadien qui parle de son Acadie :

l’identité raciale et / ou pure et / ou belle et / ou métissée et / ou diasporique et/ou inclusive et / ou symbolique et / ou martyre et / ou minoritaire selon la subvention qu’on veut avoir et exactement pour ça je vais essayer sans être capable de ne citer aucun acadien pour faire changement parce que des fois ça finit par ressembler à une crosse et que la masturbation passé l’adolescence faudrait peut-être penser à se contrôler un peu parce qu’à force de penser à sucer on va finir par penser trop souvent à la littérature de vampires

C’est, soit dit en passant, l’un de mes passages favoris du recueil. Depuis la génération qui marqua le début de la modernité littéraire acadienne dans les années 1970, la prise de distance avec le folklore est un enjeu fort. Ça nous pue au nez, ce folklore, parce que c’est réducteur et que ça ne représente pas du tout l’Acadie d’aujourd’hui. Peut-être aussi parce que nous aimons bien nous croire capables de nous différencier de la culture de masse tout en restant Acadiens. Le poète écrit donc une Acadie profondément moderne, sans en faire le point central de son recueil.

Désillusion et quête de la beauté

Le lecteur sentira que Roy se forge un style bien à lui avec ce deuxième recueil. Ceux qui l’ont déjà écouté lire ses textes auront l’impression d’entendre ses jets poétiques tourbillonnants de longue haleine, sa poésie rythmée d’images en rafale, qui sculptent l’émotion, lui tournent autour jusqu’à ce qu’un mot, un vers mette finalement le doigt dessus. La première partie du recueil est résolument revendicatrice et révoltée contre l’ère des médias sociaux et des crises planétaires diffusées en continu. Le poète peint un portrait sombre, enchaînant les textes qui transpirent le désenchantement. Pourtant, l’analogie avec les savèches est particulièrement bien choisie puisque la beauté des images semble tout tirer vers la lumière :

à cause de ton attraction fatale
pour le feu et parce que tu es
une sorte de sphinx de mystère
avec tes ailes de fée achetées
à un icare de vente de garage
pour te donner l’impression
d’appartenir à quelque chose
de majestueux et de plus grand que toi

La poésie de Roy est d’une lucidité et d’une lisibilité admirable. Je suis immédiatement entrée dans son monde, qui m’a absorbée et me donna les feels dès les premières pages. J’ai néanmoins senti que la troisième partie n’avait peut-être pas la force des quatre autres qui, dans l’ensemble, adhèrent de manière consistante au style punché de l’auteur et jouissent d’une cohésion d’ensemble que j’avais peine à retrouver dans cette portion du recueil.

Sans que l’Acadie soit au centre du recueil, Roy dresse un portrait du nord-est du Nouveau-Brunswick en orbite de cette thématique. Teinté d’un ton revendicateur et chargé de thématiques propres à notre époque et aux questionnements de notre génération face à l’ère informatique, Jonathan Roy met de l’avant une contribution très personnelle, identifiable et concrète au portrait collectif de l’Acadie contemporaine. ♦

Auteur·e·s
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Jonathan Roy
Moncton, Perce-neige
2019, 140 p., 20.00 $