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Du coeur à l'image

Mélanie Leclerc est bien la petite-fille de Félix Leclerc, donc la fille de Martin Leclerc, photographe et caméraman reconnu et fils aîné du poète. C’est dit. Maintenant, parlons de ce très beau livre.

Bande dessinée

Mélanie Leclerc est bien la petite-fille de Félix Leclerc, donc la fille de Martin Leclerc, photographe et caméraman reconnu et fils aîné du poète. C’est dit. Maintenant, parlons de ce très beau livre.

Contacts a été publié une première fois en 2018 et a remporté le prix Bédélys Indépendant la même année. Dans cet album autobiographique, Mélanie Leclerc raconte la vie de son père entre1982 et2004, et surtout sa passion pour l’image, qu’il lui transmettra au fil du temps. C’est la première œuvre de cette bédéiste autodidacte, chose que peu de lecteurs auraient pu deviner en examinant son dessin. Elle utilise brillamment le noir et blanc, son trait est léger, parfois délibérément flou, mais totalement maîtrisé.

Ode à l’image

Inutile de préciser l’importance de l’image à notre époque où elle pullule partout, insignifiante au possible. Cependant, Contacts nous sensibilise au sens profond de la composition d’un plan, de la force qui peut se dégager d’une photo ou d’un celluloïd. Enfant, Mélanie Leclerc était curieuse de suivre son papa Martin dans sa chambre noire. Photographe de formation, il devient caméraman à l’ONF, où il travaillera jusqu’en 1996. Carrière fructueuse qui l’a amené à voyager autour du monde, accompagnant Pierre Perrault et de nombreux autres cinéastes. D’ailleurs, c’est avec La Bête lumineuse, de Perrault, que Martin Leclerc a commencé au cinéma.

Pour la famille, et plus particulièrement pour sa femme, Lise, les longues absences de Martin sont difficiles. La dessinatrice ne met pas de gants blancs lorsqu’elle raconte les départs de son père, on perçoit la colère de Lise, qui s’explique dans les planches subséquentes. Les anniversaires, les vacances, l’organisation de la vie familiale se déroulent sans Martin et cela est encore plus vrai pendant les longues périodes de tournage. Pourtant, Mélanie ne semble pas lui en vouloir, on sent sa tendresse pour ce père parfois un peu bête et taciturne.

L’intérêt que le lecteur développe au fil des planches tient pour beaucoup à la construction de la trame narrative. Lorsque sa fille devient jeune adulte, Martin se met à lui raconter d’où lui vient sa passion de la photo. Ces pages sont absolument magnifiques, nous sommes témoins de la passation de la flamme, qui prend ici les traits du premier appareil photo du père, un Leica, qu’il confie à sa fille. Pendant quelques cases, c’est à travers l’objectif que l’on voit Martin en expliquer le fonctionnement à Mélanie, la fille s’amusant à photographier son père qui la conseille. C’est aussi le seul moment de l’album où il sera question de Félix, de la petite enfance de Martin à Paris alors que son père devient une vedette.

Loin de tomber dans le people ou le sempiternel récit de l’ascension de l’artiste vers des cieux étoilés, Martin raconte comment le fait d’être le seul enfant entouré d’adultes, ayant pris l’habitude de se tenir un peu à l’écart, patiemment, l’avait préparé à être photographe ou caméraman. Il aura d’ailleurs cette phrase remplie de beauté et de sens: «Dans le fond, pour voir, il faut écouter.» Pour compléter cette réflexion sur la photographie, quelques photos prises par Martin sont rassemblées en fin d’album. Que plusieurs de ces clichés aient été redessinés par Mélanie au fil des planches fait sourire.

Le père et la fille

En 1996, lorsque l’Office national du film a décidé de fermer ses studios, Martin Leclerc, comme beaucoup d’autres, s’est retrouvé au chômage. En seulement sept pages, Mélanie raconte le drame, le traumatisme qui a plongé son père dans un silence quasi total pendant des mois. Son désarroi nous atteint en plein cœur, encore plus quand son amoureuse lui tend des perches pour l’aider à s’en sortir et que, à bout d’arguments, elle lui lance que «Ce n’était qu’une job.» Martin s’emporte et lui répond que c’était plus «qu’une job», qu’en fait, c’était sa vie. Malgré tout, il se replonge doucement dans ses livres de photos, dans sa chambre noire, et en ressort avec l’envie de continuer.

Une grande part de la beauté de cet album réside dans la relation qu’entretiennent Mélanie et Martin. Lorsqu’elle tourne son premier film étudiant, il se tient à côté d’elle, tout près de la caméra. Puis, l’année suivante, c’est lui qui fait appel à elle pour qu’elle le guide à travers les calques et les layers du logiciel au cours du montage d’un documentaire de Jean Lemire. Et quand elle attend à l’aéroport le vol qui les mènera, ses amis et elle, en Inde pour un tournage, qui aura-t-elle la joie de voir? Son père, bien sûr, qui rentre d’un tournage. Tout en lui prodiguant des conseils sur sa façon d’aborder les sujets qu’elle croisera, il lui confie qu’en fait, toutes les photos qu’il a prises dans sa carrière, il les prenait avant tout pour lui, comme si sa vie était un long reportage. Voilà l’ultime leçon d’un père à sa fille: faire les choses pour soi. Mélanie Leclerc a sûrement fait cet album pour elle, mais un peu pour lui. ♦

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Mélanie Leclerc
Montréal, Mécanique générale
2019, 144 p., 27.95 $