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Diaphane

Nathalie Watteyne, dans Le sourire des fantômes, son quatrième recueil et son premier au Noroît, aborde la perte de repères qu’engendre la quête de soi. Toutefois, ce joli livre manque de direction.

Poésie

Nathalie Watteyne, dans Le sourire des fantômes, son quatrième recueil et son premier au Noroît, aborde la perte de repères qu’engendre la quête de soi. Toutefois, ce joli livre manque de direction.

Il faut le dire: il se publie de magnifiques livres au Québec. La refonte graphique de plusieurs maisons d’édition de poésie, au cours des dernières années, gâte les lecteur·rices avec des couvertures recherchées, du papier de qualité et des polices élégantes. On est loin des ouvrages austères des années 1990! Il semblerait que la beauté matérielle des titres ne soit plus un signe de compromission; au contraire, il s’agit d’une invitation.

Le plus récent recueil de Nathalie Watteyne tient un peu du livre d’artiste, comme il s’en est toujours fait dans des productions à petite échelle. Une couverture bleue figure une étendue marine tachetée de traits blancs, qui représentent les remous discrets d’une mer calme. La sérénité de la composition constitue un appel au voyage, à la contemplation. Les poèmes promettent d’en être l’incarnation.

Translucides

Le recueil aborde dans ses premières pages le départ de la poète, son arrachement au confort de la vie rangée: «en confiant les clés/à l’homme de la maison je dis/quand tu n’es pas là je me cherche». Or, de son propre aveu, «[elle] l’aurai[t] voulue comme il faut/la famille/avec des chats et des chiens». Plus loin, elle confie: «en somme je crains/de ne pas exister d’en mourir».

Chose certaine, après ces quelques poèmes narratifs, les textes deviennent plus allusifs. Ils métaphorisent le tâtonnement qui accompagne la liberté nouvelle de l’autrice – liberté jumelée à une pulsion radicale de se connaître soi-même pour vivre pleinement. C’est ainsi, du moins, que je comprends cette belle strophe.

plus d’étoiles j’aurais voulues
mais les femmes vois-tu
jusqu’à l’aurore elles dansent
avec leurs ombres dépareillées
avec pour seuls repères
la réverbération de la lumière
et la connaissance du noir
qu’elles ont fuies et pourchassées

Mais quels guides possibles pour sortir de soi? Réponse de la poète: «pour conjurer la main de l’impuissance/les morts que nous avons aimés/nous seront d’un certain secours». Ces fantômes tutélaires prennent des formes diverses: la figure du père apparaît, puis celle d’un ami disparu, mais aussi, et surtout, ces étranges dessins de Jacques Brault qui jalonnent les textes. Comment les décrire? Ce sont des silhouettes humanoïdes, dans diverses poses, remplies de griffonnages dont le trait excède les frontières des corps. Elles se détachent d’un arrière-plan de motifs colorés. Je les vois comme des portraits d’aura, des représentations de l’énergie qui déborde de nous. Ces illustrations évoquent la vie à laquelle l’écrivaine semble consentir à la fin du Sourire des fantômes: «sur le littoral mes amis/vous me verrez/tirer une chaise au soleil».

Une femme à la mer

Le recueil de Watteyne est marqué par le doute. La métaphore cardinale sur laquelle il est bâti est celle de la navigation en pleine mer. Les repères sont rares; la traversée est risquée, désordonnée, incertaine. Çà et là surgissent des îles en forme de poèmes (en vers et en prose) ou de souvenirs, sur lesquelles on se repose à peine afin de reprendre la traversée. Mais à force d’être isolé sur un «recueil-bateau» avec une capitaine qui navigue à vue, j’ai fini par me lasser. À plusieurs reprises, je n’ai pas bien saisi à qui s’adressaient certains textes et de qui ils parlaient. C’est que Le sourire des fantômes consacre beaucoup d’espace à témoigner d’une inquiétude réelle et multiplie les questions, mais cette réflexivité constante tient à distance le monde.

d’où que tu viennes
et qui que tu sois
je ne m’y attendais pas
est-ce clair de lune ou noire dentelle
qui scintille sur les pavés
moi qui sursaute à la moindre étincelle
ce reflet l’ai-je inventé

La rumination mine la progression de plusieurs poèmes, qui se dérobent de leur sens au fur et à mesure de la lecture. Et comment adopter une posture d’énonciation aussi passive quand, dans la même œuvre, Watteyne reconnaît que «la pyramide de nos rêves va s’écrouler/sur nos bouleaux chétifs»? En somme, Le sourire des fantômes pointe vers sa destination sans véritablement accoster.

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Nathalie Watteyne
Montréal, Le Noroît
2021, 56 p., 21.00 $