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Désir de reconnaissance

Désir de reconnaissance

Petit essai à caractère autobiographique qui met en lumière le parcours d’un écrivain québécois, La solitude de l’écrivain de fond rend hommage à l’Américain Wright Morris. Source d’inspiration majeure pour Daniel Grenier, ce dernier explique pourquoi l’œuvre
littéraire de Morris a sombré dans les méandres de l’oubli.

Essai

Petit essai à caractère autobiographique qui met en lumière le parcours d’un écrivain québécois, La solitude de l’écrivain de fond rend hommage à l’Américain Wright Morris. Source d’inspiration majeure pour Daniel Grenier, ce dernier explique pourquoi l’œuvre
littéraire de Morris a sombré dans les méandres de l’oubli.

Abordant la question de la reconnaissance en littérature, le dernier ouvrage de Daniel Grenier cumule anecdotes et réflexions à propos de ses premiers pas en tant que jeune écrivain en devenir. Il y aborde aussi ses flâneries parisiennes sur les traces de Morris à l’occasion de la sortie de son propre roman en France, et les rapports que l’écrivain entretient avec ses lecteurs. Publié dans la série «QR» au Quartanier, cet ouvrage accessible et original fait surgir plusieurs interrogations concernant le making of d’un écrivain québécois à succès et le confronte au mythe de l’écrivain «oublié».

L’écrivain, le lecteur et le passeur

Comment suis-je devenu l’écrivain que je suis? Quelle sorte de lecteur est donc un écrivain? Que signifient la reconnaissance et la gloire en littérature? Pour l’auteur de Malgré tout on rit à Saint-Henri et de L’année la plus longue, l’écrivain est avant tout un lecteur qui devient lui-même un passeur vis-à-vis de ses pairs, en décrivant dans la fiction une réalité qui «sera toujours celle des livres précédents». Dans un passage lumineux, il affirme: «Au-delà de cette image enivrante de moi-même, suis-je autre chose qu’un lecteur, toujours en train de passer la réalité à un autre lecteur, telle qu’elle m’a été décrite par les mille et un livres de ma vie? Serai-je assez honnête pour ne jamais oublier que je n’ai pas envie d’autre chose, au fond?» L’importance du lecteur s’affirme d’autant plus par la capacité de Grenier de se laisser façonner par l’auteur durant son propre processus de création. Comme l’écrivait Morris, «[l]e lecteur désiré […] est la première des fictions que l’écrivain doit créer, et c’est pourquoi, pour lui, les premières lignes d’une œuvre sont si importantes.» Pour Grenier, la lecture supplanterait donc les expériences vécues: «C’est effectivement la lecture qui fait de nous des écrivains, depuis longtemps, et non nos voyages inoubliables ou nos rencontres improbables», avance-t-il. Et parmi les écrivains qu’il fréquente, la figure de Philippe Sollers domine et, surtout, celle de Wright Morris.

Wright Morris, un écrivain «oublié»?

À l’inverse d’un Larry McMurtry, écrivain et scénariste de renommée internationale dont l’œuvre porte sur l’Ouest américain, Wright Morris (1910-1998) ne s’est pas taillé une place importante en tant qu’écrivain dans une société dont l’institution littéraire, fort bien développée et financée, sait reconnaître les voix incontournables de son temps. En marge des différentes «écoles» et traditions littéraires, très importantes aux États-Unis, Morris a toutefois remporté certains prix littéraires, auxquels se sont ajoutées d’autres récompenses pour son travail de photographe. S’il se défendait d’être un écrivain «régional», une catégorie «où on finit par placer les artistes ayant eu le malheur d’essayer de faire comprendre aux gens qu’ici et ailleurs, c’est la même chose au bout du compte», soutient Grenier. C’est pourtant dans le Nebraska, une région non stratégique pour le milieu de l’édition américaine, qu’il a publié la majeure partie de ses ouvrages. En somme, il est resté une figure de second plan qui n’a pas réussi à frapper outre-mesure l’imaginaire de ses contemporains. Ainsi, à l’exception d’un roman publié sous le titre La dernière fête chez Gallimard en 1964, son œuvre n’a pas été traduite en français. Faut-il en conclure pour autant que Morris est un écrivain «oublié»? On peut en effet se questionner: sur quelles bases peut-on attribuer ce qualificatif à un écrivain contemporain, si près de nous dans l’histoire, et qui a reçu, entre autres, un National Book Award?

On le sait, le mythe de l’auteur ou du manuscrit «oublié» exerce une fascination sur l’imaginaire populaire aux États-Unis. À tel point que les producteurs d’Hollywood n’ont cessé d’en tirer profit, notamment avec un film comme The Words (2012), centré sur un manuscrit chiné dans une brocanterie par un jeune écrivain qui cumule les refus des éditeurs et qui, en le plagiant, remporte un énorme succès. En tablant sur ce mythe, qu’il se réapproprie en remplaçant la figure du jeune écrivain esseulé qui se cherche par sa propre personne, Grenier se réinvente et en sort doublement gagnant, puisqu’il est déjà lui-même un écrivain à succès… L’effet est réussi, mais le texte, un peu court, laisse le lecteur en appétit. En définitive, lorsqu’il affirme que Wright Morris est le «romancier oublié le plus important du XXe siècle», une question s’impose: jusqu’à quel point l’écrivain devient-il, petit à petit, un produit façonné par ses lecteurs avides d’histoires énigmatiques qui puisent dans le mythe? Jusqu’où le désir de reconnaissance mène-t-il un écrivain?

Si l’auteur semble prêcher parfois par excès d’enthousiasme vis-à-vis de Morris, on lira avec grand plaisir ce petit ouvrage qui nous amène behind the scenes, tout en présentant l’intérêt supplémentaire de révéler le pouvoir créateur de la traduction dans la dynamique de transmission qui unit l’auteur devenu passeur à ses lecteurs.♦

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Daniel Grenier
Montréal, Le Quartanier
2017, 96 p., 14.95 $