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Danse macabre et party de cuisine

Dossier

Créer en français en région n’est pas vraiment un exploit. Aussi simple que ça. C’est un choix, oui, mais pas un exploit.

En grandissant à Edmundston, au Madawaska, quand je disais que j’allais être artiste, on me demandait toujours la même chose: «Tu prévois partir pour Moncton ou Montréal?» C’était déjà écrit dans la croyance générale qu’on ne pouvait pas «bien» vivre comme artiste si on restait ici. J’ai adhéré à cette croyance. Je me suis réellement posé la question. Moncton ou Montréal? À la sortie du secondaire, j’avais pas encore trouvé la réponse et partir signifiait aussi quitter celles et ceux que j’aime. Dont j’ai besoin. Les personnes qui me motivent et me donnent envie de créer. Quitter ma région, c’était un peu comme me quitter. J’ai décidé de pas partir. De m’étendre de long en large sur le territoire qui m’habitait et de le faire vivre encore plus dans ce que je crée.

C’est un choix, oui, mais pas un exploit.

J’ai compris assez rapidement que j’étais un «francophone hors-Québec», un «cadavre encore chaud», un «dead duck», ou tous autres petits noms affectueux qu’on donne aux weirdos de la grande famille franco. J’ai appris ça en me promenant partout au Canada, quand on s’extasiait de me voir parler français dans des événements. Quand on me disait que j’avais pas vraiment d’accent ou que j’étais un exemple du courage et de la «résilience acadienne». C’est aussi une autre chose que j’ai apprise en sortant de chenous: j’étais Acadien. Faut comprendre qu’au Madawaska, comme on est séparés de tous les autres francophones de la province, une sorte de mythologie s’est construite avec le temps. On s’est forgé une histoire collective avec les moyens du bord, où se confondent et se mélangent les menteries et les faits. Au Madawaska, six peuples fondateurs se sont retroussé les manches pour écrire une histoire floue et c’est ben correct comme ça. Icitte, les Cyr sont pas Acadiens. Les Smith sont pas Irlandais. Icitte, tout le monde est Brayon. C’est peut-être vrai. Peut-être pas. C’est justement ce que j’aimais et que j’aime toujours. Je suis tout et rien. Un Brayon-Acadien-francophone-hors-Québec…

C’est un choix, oui, mais pas un exploit.

Une chose est certaine là-dedans, c’est que je vis et crée en français. Avec le temps, je me suis souvent fait demander pourquoi. Qu’est-ce que ça signifiait pour moi? Pourquoi décider d’écrire en français? Je suis francophone. J’ai été élevé dans une ville francophone. J’ai étudié en français et, finalement, je suis vraiment pourri en anglais. Sérieusement. J’ai fait mon premier cours d’anglais trois fois à l’uni, avant de passer.Je pense que le prof était juste pu capable de me voir. E, E, A +. Ça s’invente pas, ces affaires-là.

À force d’être l’un des poètes acadien·nes invité·es dans divers événements, je me suis souvent retrouvé à devoir m’exprimer sur le fait français et tout le tralala. Ça me rendait triste. J’ai encore un peu de misère, mais maintenant je vois ça comme une danse en quelque sorte. J’ai compris que c’est pas parce que les autres croient que tu vas t’enfarger que ça va nécessairement arriver. J’ai compris que c’est souvent de la peur et de l’incompréhension, beaucoup plus que du jugement. Même si certaines personnes s’amusent à multiplier les morts annoncées à heure de grande écoute…

C’est peut-être un réflexe
L’annonce de la mort de l’autre est peut-être une façon de se sentir en vie
Mais quand ils parlent
Ce n’est pas la mort de ma langue qui est annoncée
C’est celle de la leur
C’est la peur de la solitude qui se maquille en érudition bien peignée
C’est peut-être juste ça
C’est leur langue javellisée que je n’entends plus autour de moi
Pas la mienne
Je sais pas
Pis je m’en sacre un peu
Je me sens comme quand les enseignants parlaient pour moi
À l’école
Et que j’entendais les «bon à rien», «p’tit crisse» et «paresseux»
À travers la porte du bureau du directeur
Ça me fait sourire
Et je danse

Parce que j’ai toujours aimé la beauté d’une mort annoncée
La robe au vent pis toute
C’est tellement plus beau que de se taper une valse calculée
Avec la chemise dans ses culottes
Juste pour faire comme il faut
Parce que c’est ça qui est ça
Pis que c’est de même que ça se fait icitte

Si la mort d’une langue ressemble à ce que je suis
Ben je leur laisse la vie
Et toutes les entrevues qui viennent avec
Faut avouer que ça nous fait des méchantes belles funérailles
À tous les dix ans

Écrire en français, en région, c’est un choix. Mais c’est loin d’être un exploit. Pour moi en tout cas. Ça s’est imposé. C’est la seule chose que je sais faire. Ce qui est vraiment un exploit, à mon sens, c’est de devoir continuer à crier pendant que certain·es s’entêtent à vouloir fermer un cercueil qui ne nous appartient pas. Mais crier, chenous, on est bon là-dedans. Tout le monde essaye de s’enterrer, en dansant et en chantant. Ça met de la vie dans la maison et du français dans nos gorges.

 


Sébastien Bérubé est originaire du Nord-Ouest du Nouveau-Brunswick. Son premier recueil, Sous la boucane du moulin (Perce-Neige, 2015), a obtenu le Prix des Écrivains francophones d’Amérique. Il a publié Là où les chemins de terre finissent (Perce-Neige, 2017), un deuxième recueil de poésie qui lui a valu le prix littéraire Antonine-Maillet-Acadie Vie 2018. Il présentait en 2019 son troisième recueil, Maudire les étoiles (Perce-Neige), en plus de lancer son deuxième album de musique, Madouesca.

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