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Comment ne pas enterrer le français à côté du dépotoir municipal

Dossier

Je ne me souviens pas, depuis que je peux écrire ce qui me passe par la tête, de m’être déjà demandé ce que signifiait pour moi de créer en français. C’était une évidence. Si on m’avait posé la question, j’aurais certainement répondu: «Parce que je parle français, épais!» On ne m’a jamais demandé ce que ça me faisait de courir sur le sol canadien ou même ce que j’avais ressenti après m’être cogné la tête dans un érable à sucre.

Cependant, au Nouveau-Brunswick où j’habite, on apprend assez vite ce que c’est, être un francophone. Lorsqu’un gouvernement conservateur à majorité anglophone est au pouvoir, on passe toujours à deux doigts de perdre des services pourtant de base dans un pays moderne et démocratique, comme des urgences ouvertes 24heures, des réseaux d’ambulances efficaces, des écoles qui ne tombent pas en ruine, et bien sûr des services équitables dans notre langue. Aussi, je trouve étrange que ce soient constamment les textes en français qui sont mal traduits (quand on peut les obtenir en français)… Bref, chez nous, quand on doit se tenir debout pour le français, c’est la bataille des Plaines d’Abraham…

Décider de créer en français, quand on a le choix, c’est accepter une espèce de mission: «Je serai bon chevalier et je m’assurerai de me battre pour la dignité des opprimés, je guerroierai pour les faibles sans en tirer de bénéfices!» Je trouve que l’on assigne très souvent une fonction politique aux créateurs francophones, en tout cas, dans mon coin à moi. En plus de vouloir créer pour tout simplement créer, il faut aussi justifier la légitimité du français comme choix artistique et pire encore, sa légitimité au sein de l’espace public, notamment par les arts.

Je n’arrive pas à comprendre qu’on m’ait appris à l’école que, selon les lois de notre province, l’anglais ET le français sont nos deux langues officielles. Le débat ne devrait même pas avoir lieu puisque les deux langues jouent d’égale à égale. Il n’y aurait donc pas de combat à mener. Pourtant, cette égalité ne se réalise pas: il faut sans cesse rappeler que ces lois existent. Dès qu’on choisit le français, ce genre de combat nous tombe dessus, sans compter le fait que ça vous démarque automatiquement. Cela dit, je n’ai pas envie d’être un militant, je n’en ai pas l’étoffe. J’ai juste envie de créer pour rivaliser avec n’importe qui et je n’ai pas envie qu’on m’aime parce que je parle français. J’ai envie qu’on apprécie ce que je fais parce que je suis bon! En Europe, on voit bien que plusieurs langues se côtoient sans que l’une affirme que les autres n’ont rien à faire sur le territoire. C’est une richesse. Pourquoi faut-il qu’au Nouveau-Brunswick et au Canada, apprendre une deuxième langue soit si pénible?

Ce genre d’inconvénients porte souvent des francophones à se tourner vers l’anglais, parce que ça pogne plus, parce que ça va chercher un public plus étendu et parce que c’est plus gros. Je trouve cela dommage de vouloir percer dans une autre langue que la sienne, ça entretient le préjugé que notre langue ne vaut pas la peine d’être partagée. Cela donne raison à ceux qui voudraient enterrer le français à côté du dépotoir municipal. Je ne juge pas cette décision artistique puisque, de mon côté, créer en français veut aussi dire que mes œuvres auront plus de poids parmi nous, francophones, qui ne sommes pas tant nombreux.

C’est entre autres la beauté de créer en français au Nouveau-Brunswick. La communauté littéraire est plus petite, assurément plus solide et solidaire. Ça permet de se distinguer plus aisé-ment. Par contre, je remarque aussi qu’on joue souvent sur les mêmes registres. Par exemple, on se lamente beaucoup, on est toujours des victimes, on parle mal français et on raconte les mêmes bouts de l’histoire néo-brunswickoise. Je comprends donc pourquoi beaucoup d’écrivain·es et de lecteur·rices se tournent vers l’anglais. On nous parle d’être fiers de notre langue, de notre héritage, mais on s’y prend mal pour qu’on le soit. Déjà, comment devient-on fier d’une façon de s’exprimer, de penser? C’est fondamentalement quelque chose qui s’apprend. On nous dit d’être fiers, mais on nous présente du matériel promotionnel et artistique nul, chiant, réducteur et qui ne nous interpelle nullement. Difficile dans ces conditions de faire vibrer en soi cette fierté et de la transmettre aux générations suivantes, non? Il y a de toute évidence du talent au Nouveau-Brunswick, mais on a ten-dance à s’enfermer dans nos propres cases (des limites imposées par nous-mêmes et par ceux qui tentent de nous rabaisser). C’est ce mélange de raisons qui me pousse à créer en français. Il y a beaucoup d’œuvres qui me rendent fier de créer en français et qui m’incitent à éclater les horizons, à écrire au-delà de ce qui a déjà été écrit. Comme c’est nous qui écrivons notre histoire, c’est nous qui avons le pouvoir de dire qui nous sommes réellement. À bien y penser, un peuple qui, systématiquement, dit qu’il fait pitié, ça fait pitié, non?

 


Félix Perkins vient de Saint-Hilaire dans le Haut-Madawaska. Il se promène et se perd entre ses héritages wendat, italien, espagnol et québécois par l’entremise de son premier recueil de poésie, Boiteur des bois (Perce-Neige, 2020). Il se passionne pour la nature et prévoit axer ses études postsecondaires sur les perspectives autochtones en environnement.

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