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Collectionner les volcans

Curieux choix de réunir en un livre seulement cinq nouvelles (dont l’une de 750 mots) et de qualifier l’ensemble de «recueil», lequel totalise d’ailleurs 121 pages avec d’abondants espaces blancs.

Littératures de l'imaginaire

Curieux choix de réunir en un livre seulement cinq nouvelles (dont l’une de 750 mots) et de qualifier l’ensemble de «recueil», lequel totalise d’ailleurs 121 pages avec d’abondants espaces blancs.

Depuis une dizaine d’années, Geneviève Blouin a pourtant signé une quarantaine de textes dans divers périodiques, dont plusieurs se seraient harmonisés sans peine au projet du Chasseur et autres noirceurs. Voulait-on essentiellement rééditer Le chasseur, novelette parue en 2012 aux Six Brumes, couronnée du Prix Aurora/Boréal et épuisée depuis? Les quatre autres récits doivent-ils être considérés en marge de l’œuvre principale? Peut-être. Néanmoins, l’impression d’inachevé persiste, même si les histoires rassemblées sont réussies et tranchantes comme le sabre d’un samouraï.

Belle nuit pour la chasse

Le titre, Le chasseur et autres noirceurs, m’a rappelé celui du joli recueil Noirceurs et autres couleurs, de Mireille Gagné (Phoenix, 2010). Inspiration inconsciente? Blouin, dont les parutions gravitent entre les récits noirs, les romans historiques, l’imaginaire et la littérature jeunesse, a entre autres publié une trilogie chez cet éditeur.

Une version retravaillée et bonifiée du Chasseur ouvre le recueil. Hugues «Le chasseur» Dussault est un champion de combat ultime autrefois adulé et qui a perdu la vue à la suite d’une joute avec son adversaire «Le puma». Après une période de réadaptation, Hugues a appris à décoder son environnement par l’entremise de ses autres sens, aspect qui est superbement rendu dans l’histoire. Mais le protagoniste perçoit bientôt une menace inattendue: une femme énigmatique, pieds nus, la chevelure tressée de serpents, l’assaille dans une ruelle, tuant deux promeneurs infortunés. Et les meurtres se multiplient… Au fur et à mesure que se précise l’intrigue, qui allie le fantastique à l’enquête, Hugues tire parti de sa limite physique, car «voir, en combat, c’est utile, mais pas toujours nécessaire».

Les scènes d’action, de luttes rapprochées, très bien décrites, témoignent des connaissances approfondies de Blouin sur le sujet. La sensorialité est quant à elle immersive et maîtrisée. L’écriture «cahote» un peu, peut-être parce qu’il s’agit de l’un des premiers textes publiés de l’autrice: par exemple, «ses vieux réflexes font équipe avec la panique», ou «elle a un écho de calme décision».

Vade retro satana

La nouvelle «Le double» est un modèle en matière de déploiement du suspense. Un policier infiltré, séquestré avec un revendeur de drogues, Gueule d’Ange, tente de différer son exécution en accusant son vis-à-vis de crimes fictifs. Blouin est sans contredit à l’aise avec la violence et ses manifestations — celle-ci est le pivot de bon nombre de ses écrits.

«Démonothérapie» s’inspire d’une forme de violence originale: la possession démoniaque. L’amorce est stimulante: dans un but médical, des malades en phase terminale sont possédés par des entités diaboliques dont «l’existence a été scientifiquement prouvée». Les démons, avec leur terrifiante puissance, favorisent la guérison des patients une fois l’exorcisme mené à son terme. Le père Édouard est l’un des conjurateurs formés par l’Église catholique. Il est dépêché dans un hôpital, où un homme sous influence méphistophélique s’est échappé du neuvième étage. «Démonothérapie» aurait probablement gagné à prendre l’aspect d’un roman afin d’expliciter davantage les rouages et conséquences des thérapies sataniques et de moins précipiter les poursuites dans les artères de la ville. Mais le récit demeure somme toute plutôt satisfaisant et inventif.

Les deux autres textes, «Sentence incarnée» et «Le déshonneur de Meiyo Jisatsu», sont succincts. Le premier, anecdotique, relate en sept cent cinquante mots la réincarnation d’un tyran qui se souvient de sa vie antérieure au moment où survient l’inévitable. Le deuxième nous immerge dans le Japon médiéval. Que s’est-il passé le troisième jour de la lune du tigre? Un souverain veut «éclaircir, devant témoins, les circonstances de la mort de son fils». Ce texte inédit expose l’une des facettes de l’éventail littéraire de Blouin: le récit historique réaliste. Les études de l’écrivaine dans le domaine sont perceptibles, y compris dans le travail sur la forme de l’intrigue, volontairement narrée «à l’orientale».

Être assis au bord d’un volcan

Le chasseur et autres noirceurs réunit des textes intéressants dans un ouvrage que j’aurais souhaité plus long. Il donne toutefois accès à une brève sélection de nouvelles dans lesquelles la violence est soigneusement dépeinte. Si vous n’avez pas découvert la novelette Le chasseur, voici l’occasion idéale d’accompagner Hugues au gymnase et dans le dédale de ruelles peu recommandables en attendant le prochain recueil de Blouin. Je ne doute pas qu’il nous emporte parmi noirceurs et marécages. Prédateurs, proies? Les deux à la fois? Belle nuit pour la chasse, vous ne trouvez pas?

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Geneviève Blouin
Sherbrooke, Les Six Brumes
2020, 121 p., 25.00 $