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Célibataire sans l'avoir choisi

Célibataire sans l'avoir choisi

Non sans humour, Valérie Boivin raconte les aléas de la vie de célibataire à l’ère des applications de rencontres.

Bande dessinée

Non sans humour, Valérie Boivin raconte les aléas de la vie de célibataire à l’ère des applications de rencontres.

Avec Rien de sérieux, publié à la toute jeune maison d’édition Nouvelle adresse, Valérie Boivin signe à la fois sa première bande dessinée et son premier ouvrage solo. L’illustratrice s’est auparavant associée à François Blais le temps de quelques albums jeunesse parus aux 400 coups, dont le remarquable Livre où la poule meurt à la fin (2017), une fable au ton grinçant sur le consumérisme. Dans Rien de sérieux, Boivin campe son récit à Québec. La protagoniste, Madeleine, est célibataire depuis plusieurs années. Elle enchaîne des liaisons sans intérêt qui, bien qu’insatisfaisantes, n’étouffent pas (complètement) son espoir de vivre enfin, un jour, une relation amoureuse plus profonde. À la recherche d’options, elle s’inscrit sur Tinder, où elle est confrontée à une avalanche de profils d’hommes disponibles.

Si, d’emblée, le sujet de la quête amoureuse d’une trentenaire au temps du numérique peut sembler galvaudé, Boivin réussit à en faire un récit divertis-sant. Sans réinventer le genre, elle donne à lire l’histoire drolatique d’un personnage qui, au fil de ses déceptions, se révèle attachant.

«Tinder, le publisac de l’amour»

Les critères de sélection (âge, sexe et ville, par exemple), les descriptions, les photos dans lesquelles on essaie de se mettre en valeur… L’ensemble des paramètres d’une application comme Tinder montre ses usager·ères dans l’expression de leurs besoins et de leurs attentes. La succession de profils crée un «effet catalogue» un peu lassant. C’est du moins ce que l’artiste relève avec humour dans des pages qui présentent, par la technique du gaufrier, une panoplie d’utilisateur·rices qui tentent de vendre leur salade à une potentielle date (l’histoire étant racontée depuis la perspective d’une hétérosexuelle). L’autrice capte bien le mélange de petitesse, d’esbroufe et de vulnérabilité qui compose un échantillonnage de Tinder. L’accumulation aléatoire de ces histoires à la carte sème le doute chez la narratrice quant à ses propres attentes.

Certes, le récit permet de comprendre les difficultés à trouver l’amour, à établir des liens authentiques avec autrui, mais il montre surtout comment Madeleine se positionne dans l’arène de la séduction: avec naïveté, mais aussi avec assurance, car elle assume son besoin d’éprouver un sentiment fort envers son partenaire. À cette protagoniste qui cherche à cerner les règles du jeu de l’amour – notamment en se comparant à une copine qui a déniché le chum parfait avec un swipe bien placé – se greffe une autre amie, Bénédicte, qui embrasse avec soulagement son célibat à la suite d’une rupture particulièrement acrimonieuse. Boivin a créé une héroïne qui se met en quête d’une relation incarnée et romanesque, mais l’essentiel de l’album tourne plutôt autour du refus du personnage d’accepter des relations dans lesquelles elle ne pourrait pas véritablement s’épanouir. Le célibat, ça peut en effet s’avérer difficile quand il ne s’agit pas d’un choix. Toutefois, ce n’est pas une raison pour s’amouracher d’un gars ennuyant: voilà le conseil que Madeleine proposerait probablement dans un courrier du cœur.

Un ton juste, mais un peu propret

Rien de sérieux a été réalisé au crayon à mine, une technique brillamment maîtrisée par l’illustratrice, qui n’a pas peur d’allier réalisme et brins de folie dans son style graphique (chapeau à cette pleine page de mignons corgis!). Les jeux d’ombres, les textures et le mouvement dynamique de la narration rendent la lecture de l’album très fluide. À cet égard, l’œuvre rappelle Une longue canicule (Mécanique générale, 2017), d’Annie Villeneuve.

La réussite de Boivin est également redevable à son talent de scénariste et de dialoguiste. Le monologue intérieur de Madeleine, rythmé par des interactions avec les autres personnages, ne s’essouffle pas. La narration mise sur un ton retenu et un assez bon sens du punch. Sans jamais trop appuyer un gag ou un élément de l’histoire, l’autrice met en place une ambiance, un univers qui fonctionne, ce qui est la plus grande force du livre. Cela dit, l’ensemble manque d’abrasivité, d’incisivité, de disproportions. L’intrigue demeure somme toute un peu trop proprette pour être remarquable. Par contre, je ne doute pas que Valérie Boivin ait le potentiel et l’imagination pour parvenir à sortir des sentiers battus, s’il s’agit bien sûr de la direction vers laquelle elle souhaite tendre.

En attendant, Rien de sérieux reste un beau match pour les lecteur·rices.

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Article au format PDF
Valérie Boivin
Montréal, Nouvelle adresse
2021, 208 p., 30.00 $