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Ceci n'est pas un tombeau

«Une œuvre de Barbara Claus est un genre de tombe qui porte en soi les secrets de la résurrection»
– Jean-Émile Verdier

Livre d'artiste

«Une œuvre de Barbara Claus est un genre de tombe qui porte en soi les secrets de la résurrection»
– Jean-Émile Verdier

Le travail de Barbara Claus aborde les temps du deuil. En creusant les thèmes de la mémoire, des rituels, de l’éphémère et de la permanence, l’artiste s’interroge sur les freins potentiels à l’accélération qui s’immisce dans nos vies, «alors que les choses importantes ne se font jamais vite», comme elle le mentionne sur son site. Au cours des dernières années, sa démarche s’est recentrée sur le travail en atelier, un espace trop souvent temporaire, voire précaire. Ce lieu et les réflexions qu’il suscite sont au cœur de la publication réalisée par le centre d’art actuel Plein sud. Quelque part entre la monographie et le livre d’artiste, Barbara Claus /
1983 . 20–
réunit des archives visuelles d’installations, un essai du critique et historien de l’art Jean-Émile Verdier, un texte de la poète Shauna Indira Beharry et les traces de productions antérieures.

Derrière les portes de l’atelier, l’œuvre

Regroupés dans une enveloppe, différents éléments composent l’ouvrage: le Grand livret argent (soixante-quatorze pages), le Petit livret or (quarante-quatre pages), le Zine noir et blanc (vingt pages), un feuillet sur lequel figure un texte en braille, et des fragments d’une installation présentée en 2018. Chaque pièce documente un travail de plus en plus mobile, éphémère, réalisé au cours de diverses résidences de création. Les nombreuses photos donnent à voir pour la plupart des lieux où l’artiste est intervenue: ici, une vue de la salle d’exposition dans une galerie; là, le plan rapproché d’un coin de mur avec, au sol, les restes d’une performance. Des particularités des tableaux, des objets sortis de leur contexte d’origine, des mots et des bouts de phrases constituent les traces d’une démarche qui approfondit «l’incarnation du travail dans le corps et l’espace réel, imaginaire et symbolique».
Dans ce processus de production changeant et fluide, l’atelier devient un endroit fantasmé de silence, de concentration; un havre où l’artiste peut s’extraire de la réalité du monde, ce que l’ouvrage représente fort bien. Ainsi, les fragments visuels des divers emplacements et les détails des œuvres suggèrent une pensée en arrêt et un temps suspendu.

Pour une poétique de la résurrection

Dans son essai, Jean-Émile Verdier explore avec brio l’esthétique de Claus. Pour l’auteur, «chaque geste de l’artiste entrerait en résonance avec un deuil, et puis avec l’espoir secret d’un retour à la vie». Cette poétique de la résurrection s’exprime à travers diverses actions, qui vont de la distribution des composantes d’une œuvre éphémère au public, à la transformation d’un atelier en une résidence ouverte à l’ensemble de la communauté artistique. Verdier décortique une démarche qui, tant du côté de son résultat que de celui de sa production, s’attache à faire émerger le sacré d’une forme d’évidement: «Et le geste posé, l’œuvre [doit] disparaît[re].
Et, avec elle, son autorité», conclut-il dans le texte intitulé«Commencement».

«Rain», le poème de Shauna Indira Beharry, incarne le travail de Claus. En dialogue avec les images quasi abstraites, il évoque la perte, mais aussi la réparation:

In the space between words, trees.
Reparations.
Rehearsal with fingerwork
gouging, pushing at walls; digging
honey, wax, hair from hole.
Bodies. Not bodies.

Au cœur du Petit livret or, le texte est entouré de détails des œuvres de Claus, qui agissent comme autant de scènes remplies de non-dits. Par ailleurs, il fait écho aux «je suis foutue» et aux «je suis épuisée», des phrases tirées d’installations et dispersées à travers la publication.

Dans tous ses aspects, Barbara Claus / 1983 . 20– révèle une démarche sensible et complexe. Du titre sur l’enveloppe, qui se rapproche de l’épitaphe, aux grains de riz, telles les empreintes d’une œuvre fugace, le livre transcende le côté documentaire du catalogue et se présente comme une véritable création cohérente. Le magnifique travail de mise en page de la designer graphique Marie Tourigny met en évidence cette poétique de la résurrection. Il ressort de l’ensemble une sensation d’apaisement et de lenteur, magnifiée par les filtres de couleur des objets imprimés. Les images, tantôt en noir et blanc, tantôt en couleur, se fondent dans une mise en page épurée qui fait la part belle aux photos en pleine page. À l’instar de poupées gigognes, l’ouvrage déploie ses couches de sens les unes après les autres. Et il reste toujours, en fin de compte, les traces d’une création qui ne cesse de renaître de ses cendres.

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Article au format PDF
Barbara Claus, Jean-Émile Verdier, Shauna Indira Beharry
Longeuil, Plein sud
2022, 138 p., 40.00 $