Aller au contenu principal

Ce que recouvre la neige

Sur fond de néoterroir se détache un suspens qui donne à la blancheur de l’hiver toute son obscurité.

Polar

Sur fond de néoterroir se détache un suspens qui donne à la blancheur de l’hiver toute son obscurité.

Ayant dans le viseur les évènements récents de violence et de viols perpétrés à l’endroit des femmes autochtones par des policiers, François Lévesque campe le récit de son dernier roman dans l’hypothèse toujours inquiétante de la corruption des représentants de la loi et de la paix. Avec une enquête qui pourchasse un mal endémique au corps de police, Neiges rouges semble offrir, par le truchement d’une série de viols et de meurtres, la possibilité d’une rédemption pour l’institution.

Le protagoniste, le policier Vincent Parent, est trahi et blessé d’une balle par son partenaire préoccupé de sauver sa peau et de taire ses méfaits — trafic de drogues et viols de femmes et jeunes filles autochtones. Motivé par ce qui rejaillit comme la ritournelle d’une conjuration — ce ne sont pas tous les policiers, « [l]a majorité sont comme Vincent. T’es tombée sur des pourris. C’est eux autres, la minorité » —, Vincent Parent se présente comme le dernier espoir d’une intégrité et d’une morale perdues.

Masculin, masculin

Vincent Parent, trente-cinq ans. Divorcé. Résident de Malacourt, près de la rivière Nottaway. Bonne constitution, sportif, musclé. Loup solitaire. Propriétaire d’une maison isolée au milieu de la forêt. Fervent de chasse et de pêche. Collectionne les trophées de chasse. Amateur de bonne cuisine, spécialité : fondue à l’orignal. Aime chiens et chats. Recherche : hommes.

Plusieurs récits personnels se croisent et se superposent à l’histoire principale de Neiges rouges : la thérapie de l’un, le passé de prostituée de l’autre, l’alcoolisme de l’un, le deuil de l’autre. L’homosexualité du protagoniste est l’un de ces sous-textes qui complexifie l’archétype traditionnel de l’enquêteur de police. Si sa condition d’orphelin donnait au personnage de James Bond l’envergure de son destin, l’homosexualité de Vincent Parent s’inscrit dans un récit originel qui fait la lumière sur une histoire familiale sombre (dont le patronyme est l’indice), et sur un devenir qui trouve une filiation littéraire chez Hercule Poirot : « J’te verrais, avec une p’tite moustache retroussée, Hercule Parent. — Heille, chu gai, mais pas that gay, objecta Vincent. »

Dans cet univers que l’on appelle communément le néoterroir, et qui participe d’une tendance bien marquée de la littérature québécoise contemporaine, des hommes se retrouvent dans ce que la nature peut encore offrir de brut, de simple, de sauvage. Boire, manger, chasser, pêcher entre « chums de gars » : le retour à la terre est un rite de passage ou encore la promesse d’une masculinité renouvelée. C’est ce que semble incarner le personnage de Vincent Parent, qui dévoile une profondeur reposant sur le discours assumé de ses désirs et émotions, de ses faiblesses et de sa vulnérabilité, tout en gardant intact le fantasme d’une puissance virile. Malgré la singularité et le charme qu’il peut y avoir dans la différence à faire entre « chum » et « chum, chum », l’univers de Lévesque se fonde sur des dichotomies qui opposent des personnages de femmes battues, violées, exploitées et dont la force découle de leur sacrifice, à des hommes endurcis, violents, qui doivent prendre la mesure et la responsabilité de leur pouvoir d’action. Que cela puisse traduire les charnières de la violence sociale, culturelle et systémique est une chose, reste que la lecture de Neiges rouges n’offre pas de prise à une lectrice qui ne reconnait rien dans les codes de la bromance, laquelle se décline dans de nombreux dialogues ponctués de « [b]ières, shots, jokes de cul, cela, suivi d’un souvenir ému : dans l’ordre et à répétition ».

« Ton turf, ton call »

Comme les autres romans de Lévesque, celui-ci a la caractéristique de faire osciller l’écriture entre un langage soutenu et vernaculaire. Ce parler franc teinté d’anglicismes rend la réalité d’une langue québécoise qui devient, dans Neiges rouges, le support de l’affection au masculin : « bro », « buddy », « mon chum », « l’gros », « On dit BFF, champion : best friend forever. — J’sais, mais toi, t’es mon "best bitch forever" ». Si cet exercice demande l’adresse d’un juste dosage, je me retrouve toujours dépourvue lorsque le joual est mis au service de la vulgarité, quand la conversation ne va pas sans son « moment "mange de la marde" ».

Malgré ces particularités qui ne demeurent, peut-être, qu’une question de préférence, je reconnais un réel souci formel. Lévesque, qui est aussi critique de cinéma au Devoir, a un don pour les images qui offrent au roman une qualité cinématographique, et au suspens une tension obéissant au rythme d’un « flash », d’un « battement de cil », d’une « vision fugace » ou encore d’un « délire onirique ». Dans un travail de mise en abyme, d’intertextualité et d’autoréférentialité, il donne à l’écriture du polar une densité, liant à Neiges rouges d’autres influences, d’autres textes, dont Une maison de fumée (Alire, 2013), qu’il indique en note de bas de page, nous invitant à chercher dans ses autres romans des clés de lecture. ♦

Auteur·e·s
Type d'entité
Personne
Fonction
Auteur
Article au format PDF
François Lévesque
Montréal, Alire
2018, 288 p., 24.95 $