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Cartographier sa vingtaine

Audrey Beaulé nous propose de parcourir, à sa manière, l’autoroute du Souvenir.

Bande dessinée

Audrey Beaulé nous propose de parcourir, à sa manière, l’autoroute du Souvenir.

La Vingt, album paru à Mécanique générale, est la première publication dans le circuit officiel d’Audrey Beaulé, artiste en arts imprimés qui s’intéresse notamment à l’édition indépendante. Formée en design graphique, elle inscrit sa démarche dans une relecture de l’abstraction qui allie les théories féministes et queer. Pour ses premiers pas en bande dessinée, Beaulé s’attache, dans un récit d’apprentissage autofictionnel, aux moments formateurs de sa vingtaine et elle utilise l’autoroute 20 comme métaphore de son parcours.

Originaire de Québec, la narratrice de La Vingt poursuit ses études supérieures à Montréal. Le déménagement hors du cocon familial occasionne des allers-retours réguliers au cours desquels elle regarde le paysage qui défile, converse avec ses partenaires de covoiturage et, surtout, plonge dans son intériorité. La sensation de flottement causée par le déplacement entre les deux villes lui permet de laisser libre cours à ses réflexions. Elle en profite alors pour revisiter les moments phares de sa vingtaine. L’album reflète bien ce mouvement de la pensée dans sa composition graphique et témoigne du passage à l’âge adulte.

D’une langueur monochrome

Au gré de ses trajets, la narratrice nourrit différents souvenirs et se laisse porter par des impressions parfois diffuses. Beaulé aborde ainsi plusieurs thèmes qui font écho à sa génération, qu’il s’agisse de la pression de performance, de l’importance des amitiés, du féminisme ou encore de l’écoanxiété. Pourtant, le récit parvient difficilement à en moduler les nuances ou, du moins, à faire ressortir des points de tension qui pousseraient l’écriture plus loin. Je me suis parfois demandé pourquoi l’autrice ne poursuivait pas sur sa lancée, notamment lorsqu’il était question de la rupture d’une amitié ou des crises d’anxiété de la narratrice à l’université. Bien que traités dans une perspective qui permet aux lecteur·rices de se sentir interpelé·es, ces sujets ne sont qu’évoqués, alors que la réflexion amorcée par Beaulé nous indique qu’il y a amplement de matière. La douceur est revendiquée comme une forme d’affirmation de soi et elle définit le rapport au monde.

Cet effet de lecture schématique tire probablement sa source de la signature graphique de l’album, qui repose en quelque sorte sur une métonymie visuelle: l’image n’a du sens que lorsqu’on considère ses différentes parties. L’artiste intègre la métaphore de l’autoroute, ponctuée de pictogrammes et de repères connus, à son langage. Si ce procédé s’avère efficace pour la matérialité de l’ouvrage, le texte, en revanche, manque de vivacité. En fait, il résume plus souvent l’image au lieu de s’ouvrir à différents possibles, et ce, même si le livre se conclut sur cette affirmation inspirante: «Parce que la poésie naît des incertitudes.» Après la lecture de La Vingt, on reste un peu sur sa faim: l’album décrit plus l’apaisement qu’il n’explore des doutes.

«J’aime la beauté du vécu»

Il ne faudrait tout de même pas réduire La Vingt à un manque de profondeur ou de nuances: cela reviendrait à passer sous silence ce qui constitue l’identité de cet ouvrage, à savoir la représentation positive d’une introspection et d’un parcours. La bande dessinée met en relief les moments formateurs de la vingtaine – pas seulement ce qui la trouble – et elle évite d’en nourrir les éléments anxiogènes. Beaulé articule principalement son propos autour des ressources qui revigorent la psyché humaine au lieu de s’attarder aux inquiétudes qui grugent les énergies. Le rythme du récit, qui se rapproche du mouvement de l’automobile, avec ses va-et-vient entre différentes périodes de la vie, traduit bien ce sentiment de sécurité enveloppante. Ainsi, la narratrice se penche de manière touchante sur ses relations familiales et sur son quotidien partagé avec son amoureuse.

Cette tendresse du regard de la narratrice sur son entourage constitue un leitmotiv du texte et de la proposition visuelle. L’artiste exploite un bleu marine monochrome dans un mélange d’aquarelle, de gouache et de petites marques au stylo pour développer un langage original qui illustre bien l’agentivité de la protagoniste. Dans la démarche de Beaulé, la douceur est revendiquée comme une forme d’affirmation de soi et elle définit le rapport au monde.

Quoique l’album soit porté par des thèmes et des préoccupations pertinentes, j’aurais préféré que leur traitement ne soit pas aussi lisse, surtout dans l’articulation du texte avec l’image. N’empêche qu’Audrey Beaulé nous offre une lecture réconfortante et une proposition esthétique qui fait plaisir à découvrir.

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Audrey Beaulé
Montréal, Mécanique générale
2020, 136 p., 24.95 $