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Au coeur des épidémies

Au coeur des épidémies

Alors que nous vivons une crise sanitaire qui secoue le monde entier, beaucoup s’interrogent sur les épidémies et leur évolution. L’historien de la médecine Denis Goulet nous éclaire sur ce qui s’est passé au Québec.

Essai

Alors que nous vivons une crise sanitaire qui secoue le monde entier, beaucoup s’interrogent sur les épidémies et leur évolution. L’historien de la médecine Denis Goulet nous éclaire sur ce qui s’est passé au Québec.

Professeur associé à la Faculté de médecine de l’Université de Montréal, Goulet publie aux éditions du Septentrion une histoire critique des épidémies au Québec aux XIXe et XXe siècles. Avec ce livre, il plonge dans un domaine de recherche un peu plus obscur, teinté à la fois par l’état des connaissances médicales et par l’expérience humaine au sens large. C’est pourquoi l’auteur opte pour une approche davantage anthropologique. En s’intéressant ainsi aux épidémies, à leur traitement et à leur perception au sein de l’espace public, l’essayiste montre qu’au-delà de la compréhension scientifique de la propagation des épidémies, les acteur·rices du milieu de la santé ont depuis toujours été confronté·es à la réalité des représentations sociales des maladies, qui ont pu nuire à la pratique médicale.

Choléra, typhus et variole

«Tout au long du XIXe siècle, les maladies infectieuses constituent au Québec la principale cause de mortalité.» C’est avec cette phrase, qui nous surprend et nous fait immédiatement réfléchir, que Goulet amorce son premier chapitre, consacré aux causes des épidémies au xixesiècle. Le manque de connaissances, mais surtout le retard et l’incohérence des directives gouvernementales ainsi que les conflits économiques nuisent à la bonne gestion des épidémies. On passe alors des vieilles conceptions sur les miasmes et d’une certaine peur de l’eau à une approche plus «infectionniste», puis à une meilleure compréhension des bactéries.

L’auteur se penche ensuite sur les différentes épidémies du siècle: le choléra (la peste bleue), le typhus et la variole. La présence d’archives visuelles rend le propos plus sociologique et moins clinique. La section sur le choléra est particulièrement intéressante, notamment en raison des liens qu’établit Goulet entre la maladie, les mauvaises conditions sanitaires à Montréal dans les années 1830 et l’immigration. Les données chiffrées dressent un portrait plus concret de la situation: «Au bout d’une semaine, on compte déjà plus de 200 cas à Québec. Le 19juin [1832], l’Hôpital des émigrés admet 450 malades. Les hôpitaux étant bondés, on doit ériger des tentes sur les plaines d’Abraham pour héberger plus de 500 patients.»

Le chapitre sur la prévention montre comment les élites politiques et médicales et divers acteurs du monde économique contribuent ou non à la mise en place de mesures visant à contrer les épidémies et à ralentir leur progression. Au Canada et au Québec, on construit des systèmes d’égouts efficaces et on améliore la gestion des déchets dans les villes; on n’en est pas encore aux cordons sanitaires et aux périodes ciblées de quarantaine.

Grippes et polio

Goulet suit exactement la même logique intellectuelle dans les chapitres consacrés aux épidémies au XXe siècle, analysant les changements survenus dans le monde médical après les découvertes sur les bactéries par des chercheurs comme Louis Pasteur.

C’est à cette époque que la bactériologie naît, et que les premières campagnes de vaccination sont organisées. Dans un deuxième temps, l’historien décrit les horreurs de la grippe espagnole de 1918, causée par un virus de type H1N1, et les ravages de la poliomyélite, qui a pendant très longtemps été associée aux États-Unis. Le médecin explique les origines d’autres grippes asiatiques et nous met face à la réalité épidémiologique plus récente… du sida. Il précise en outre que la désinfection et le port des gants n’ont pas toujours été généralisés, et que le masque, lors de l’épidémie de grippe espagnole, a été matière à débats. Appuyé par de courts extraits d’archives, le dernier chapitre sur les mesures préventives est sans doute le plus humain et le plus touchant. On découvre même que les étudiants en médecine ont été appelés en renfort dans les hôpitaux en 1918-1919, mais qu’ils n’étaient guidés par aucune directive publique claire.

En définitive, cette Brève histoire des épidémies au Québec constitue indubitablement un ouvrage de référence fort intéressant. Les gravures, les témoignages d’époque et les définitions de termes médicaux sont des compléments utiles, pour ne pas dire essentiels. Le ton du livre est toutefois inégal: certains chapitres sont trop directs et scientifiques; d’autres, plus sociologiques, donnent à lire une écriture plus fluide. Le manque d’uniformité atténue quelque peu la qualité globale de l’essai, qui demeure, cela dit, un très beau travail historique. Il remplit bien sa mission: informer les lecteur·rices tout en proposant un regard critique sur un sujet actuel.

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Denis Goulet
Québec, Septentrion
2020, 180 p., 19.95 $