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Attraction solaire

Les relations amoureuses sont ponctuées de moments de force et de vulnérabilité. Aphélie, deuxième roman de Mikella Nicol, illustre merveilleusement comment ces deux réalités opposées s’entrelacent.

Roman

Les relations amoureuses sont ponctuées de moments de force et de vulnérabilité. Aphélie, deuxième roman de Mikella Nicol, illustre merveilleusement comment ces deux réalités opposées s’entrelacent.

S’il y a des titres qui laissent imaginer de grandes choses sans toutefois sustenter le lecteur, Aphélie — qui désigne le point le plus éloigné du soleil dans la trajectoire d’un objet céleste — a pour sa part la même puissance évocatrice que le roman qui le porte.

Le quotidien de la narratrice, une jeune femme qui travaille seule, de nuit, dans un centre d’appel, «manqu[e] de sens». Comme les deux héroïnes des Filles bleues de l’été, le premier roman de Nicol, elle évolue un peu en marge de la société, juste à côté, toujours en décalage. Au boulot, entre les rares coups de fil qui lui parviennent, elle consulte son horoscope, flâne en ligne, se caresse parfois. Elle a un grand ami depuis l’enfance — son seul ami — Louis, avec lequel elle s’enivre le vendredi soir, dans un petit bar de quartier où ils ont leurs habitudes. Après une relation violente avec B., elle partage maintenant la vie de Julien, un garçon sans histoire qui a une jolie carrière et un condo neuf.

Au cours d’un été caniculaire, l’équilibre précaire de sa routine est chamboulé par la rencontre de Mia, une femme qui brouille les cartes de ses désirs: «Je n’avais pas voulu ce qui arrivait et pourtant j’aimais le remous que Mia créait en moi.»

Alors qu’elle explore les possibilités de cette nouvelle histoire, c’est tout son lien avec les hommes qu’elle a aimés qu’elle revisite: ses limites, ses mauvaises habitudes, sa lassitude aussi. Car même si ses premiers élans pour Mia la submergent totalement, cette dernière ne saura pas maintenir l’intérêt amoureux de la narratrice.

La quête amoureuse, ici, prend des allures de recherche de soi. Mais on est à des années-lumière de la psycho pop: «J’avais peur de ne pas sourire sur mes photos de mariage. J’étais le genre de fille à qui ça arriverait.»

Avec un monologue intérieur d’une grande beauté, la narratrice jette sur la nature humaine un regard sans complaisance, lucide. La prose sans détours ni fioritures sait nommer les relations qui se font et se défont. En résulte une pléthore de petites observations aussi justes qu’assassines, comme celle-ci, lorsque la narratrice observe la copine du barman: «Je me suis demandé si le barman s’était entiché de moi parce que je lui ressemblais. Nous étions peut-être interchangeables.»

Lentement la violence

«Séduire est la forme de violence que je maîtrisais le mieux»: c’est avec cette puissante phrase que la narratrice résume son rapport à l’amour, au désir. La violence se déploie pourtant dans ce roman sous de multiples autres formes. Aphélie donne surtout à voir celle qui est faite aux femmes. Ce thème s’immisce en filigrane, d’abord discrètement, puis de manière de plus en plus assumée.

Cela aurait pu sembler anodin, comme lorsque la narratrice raconte qu’elle tue le temps devant la télévision, durant le jour, avec une préférence pour les séries de «true crime»: «J’aimais surtout les émissions dans lesquelles le tueur s’avérait être le voisin, le professeur, ou le maire du village. Les victimes, elles, me ressemblaient ou ressemblaient aux filles que je connaissais.» Mais ça se poursuit lorsqu’elle développe un intérêt soutenu — qu’elle partage avec Mia — pour la disparition d’une femme, un fait divers comme il y en a trop.

On découvre aussi, tout au long de cet été étouffant de chaleur, le souvenir doux-amer d’un ancien amoureux qui un jour a basculé lui aussi dans la violence. Bien que la narratrice soit avare de détails sur leur passé, il apparaît que la fin abrupte et abusive de leur relation est indissociable du souvenir plus général qu’elle a de cet homme qu’elle a beaucoup aimé. Et c’est là l’un des tours de force de ce roman: raconter l’omniprésente violence avec une simplicité désarmante, sans mise en garde ou faux-fuyants, sans grands flaflas ni mélodrame.

Avec ce deuxième roman, Mikella Nicol assoit définitivement son talent pour raconter les jeunes femmes complexes, pour magnifier les douleurs du début de l’âge adulte. Comme de grandes plumes avant elle — j’ose évoquer Sagan —, elle sait raconter l’intime pour parler d’une époque; élever les intrigues amoureuses, les coups de gueule et les fragilités des personnages pour parler de la condition humaine. On n’a pas fini d’entendre parler d’elle. ♦

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Mikella Nicol
Montréal, Le Cheval d’août
2017, 128 p., 20.95 $