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Aimer, point

Avec L’imparfaite amitié, Mylène Bouchard signe un roman qui peine à trouver sa place
entre poésie et raisonnement, intimité et distance, mobilité et errance.

Roman

Avec L’imparfaite amitié, Mylène Bouchard signe un roman qui peine à trouver sa place
entre poésie et raisonnement, intimité et distance, mobilité et errance.

«Quand je t’ai vue à la fenêtre, Sabina, j’ai compris que je devais tout arrêter, mettre fin à tout, lancer l’allumette, mettre fin, mettre feu.» À sa fille qui un jour l’aperçoit avec son amant, Amanda Pedneault lègue une «boîte de compréhension», composée de lettres, de carnets de voyage, de mots d’enfants, de citations aimées. Une manière d’ouvrir le dialogue avec celle qui traverse le roman comme une ombre — une silhouette dans la lucarne d’un appartement pragois, plus précisément. «Parler avec toi: qu’aurais-tu fait à ma place?», lui demande d’emblée sa mère. Cette boîte au contenu éclaté, traces d’une vie qui le fut tout autant, forme la matière première du troisième roman de Mylène Bouchard. L’auteure, également éditrice à La Peuplade, y approfondit les sillons de l’exil, de l’art, de l’amour épistolaire, creusés dès Ma guerre sera avec toi (2006).

Refuser l’inaction

À quarante-huit ans, Amanda choisit de tout recommencer à zéro. Choisir n’est pas tout à fait exact; elle aime que la vie «ait son mot à dire». Aussi sacrifie-t-elle au hasard une partie du pacte qu’elle a signé avec elle-même: jeter son dévolu sur une œuvre d’art, la désirer, jour après jour, jusqu’à ce qu’une personne l’achète. Puis tout quitter, sauf ses enfants. Quitter Milan, noyée d’amertume depuis le diagnostic d’une maladie dégénérative; quitter Prague où elle s’est exilée par amour à vingt-huit ans, et où elle travaille comme critique culturelle. Surtout, la Coudriloise d’origine veut se «guérir de trop vouloir tout, de tout vouloir posséder, de tout vouloir consommer». Une bataille pour celle qui tient son nom d’un bateau de chêne, et qui n’admet l’immobilité ni du corps ni du cœur.

Les hommes et les femmes ne peuvent être heureux à l’intérieur de modèles rigides. Ils repoussent forcément, à un moment ou un autre, les parois qui les serrent, qui leur bouffent l’air. Autour de moi, l’amour est une institution quand j’aspire à l’aventure.

Si elle est une exhortation à préserver ce qu’il y a de fluide et d’avide en soi, la fameuse boîte léguée à sa fille contient aussi une mise en garde: «Sabina, se faire miroiter d’autres vies n’est bon que pour la souffrance. C’est vivre la vie donnée et aimer très fort qu’il faut.» Le mouvement, donc, mais pas l’errance. Or la ligne est souvent mince dans L’imparfaite amitié, et il faut prendre garde à ne pas perdre le fil à force de détours, d’hésitations, de questions suspendues, de répétitions. «Je le sais, je ne donne pas ma place, je dis des choses, après je change de discours, puis encore, je nie», admet la narratrice. Hélas, même la plus honnête des confessions ne peut, à certains moments, prévenir l’essoufflement.

D’amour et d’amitié

Le roman s’appuie sur les différentes relations entretenues par Amanda pour développer une réflexion sur l’amour et l’amitié. Fricotant avec l’essai, il soulève ainsi des questions comme: L’amitié est-elle possible entre les hommes? Entre les femmes? Comment l’amour peut-il durer? La première est-elle une version «imparfaite» du second? S’il en résulte des images d’une grande poésie (l’amour comme «un bateau de bois qu’on restaure chaque automne»), trop souvent on se heurte à une double contradiction. D’abord entre la forme très intime du livre, qui appelle la franchise, la vulnérabilité, voire les débordements, et certaines phrases creuses. Puis entre le fait que le personnage se présente comme quelqu’un qui «aime très fort», de façon viscérale, et la conceptualisation lancinante de sentiments qui devraient, dans le contexte, contourner les frontières et les définitions.

Qu’on nous donne à sentir la soif qui se verbalise dans des phrases comme «Vivre au bord de sa vie, ce n’est pas assez.» Qu’on nous amène à croire — à force de regards, d’odeurs, de présence — en l’amour que le personnage dit ressentir pour ses enfants, et pour les hommes et femmes qui ont croisé sa route.

Mylène Bouchard est une formidable conteuse à ses heures. Ses descriptions de l’Île-aux-Coudres et des «marsouins», sa façon de parler des origines d’Amanda sont particulièrement savoureuses. Là, il se passe quelque chose; là, le courant est fort. Le père et la mère du personnage, qui transforment magiquement les absences en rendez-vous les jours où le premier doit s’éclipser sur le fleuve pour le travail, font d’ailleurs l’objet de magnifiques passages:

Leur code à eux depuis toujours: se regarder avec leurs jumelles, se parfumer même si c’était illusoire, secouer leurs foulards (mon père gardait un mouchoir dans sa poche intérieure de son veston, avec quelques pastilles au miel), se souffler des baisers surabondamment.

C’est peut-être ce qui manque le plus à L’imparfaite amitié: davantage de moments où le lecteur peut se laisser porter, les sens en alerte.♦

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Mylène Bouchard
Chicoutimi, La Peuplade
2017, 400 p., 26.95 $