L’ultime provocation
La vie dans les ruines | Anne Archet
La vie de provocatrice professionnelle est parfois frustrante. Je dis professionnelle parce qu’il m’arrive de me faire payer pour écrire, même si ce n’est que de la petite monnaie. Avant, je faisais de la provocation en dilettante et ce n’était pas moins frustrant. Rien ne me plaît davantage que de pleurnicher sur ma liberté d’expression bafouée et de me présenter comme une victime sur les médias sociaux. Il n’y a pour moi rien de plus délicieux que de crier à la censure comme le font tous les humoristes vieillissants qui n’ont pas renouvelé leurs jokes de mononcles depuis vingt ans ou les chroniqueurs de la droite vermoulue quand ils se font dire qu’ils sont les fourriers du fascisme. Mon problème, c’est que la société est maintenant tellement tolérante et ouverte que je dois m’estimer chanceuse si mes pitreries iconoclastes provoquent autre chose qu’un vague haussement d’épaules chez les quidams et les bourgeois que j’essaie d’effarer. Plus je vieillis, moins j’arrive à scandaliser – et je trouve que c’est un vrai scandale.
Ça m’a fait un choc quand je l’ai entendu affubler les écrivain·es qui sont publié·es dans Lettres québécoises d’épithètes que je n’oserai pas répéter ici. Comment est-ce possible que LQ publie sans broncher toutes mes insanités, moi qui suis au moins aussi vulgaire et infréquentable que le freak de Montréal? Pourquoi lui et pas moi? Pourquoi me prive-t-on du plaisir de pleurnicher sur mon sort et de me présenter comme une victime sur les médias sociaux? Pourquoi ne me donne-t-on pas la chance de crier à la censure comme le font tous les humoristes vieillissants qui n’ont pas renouvelé leurs jokes de mononcles depuis vingt ans ou les chroniqueurs de la droite vermoulue quand ils se font dire qu’ils sont les fourriers du fascisme? Avouez que c’est une injustice scandaleuse.
Aussi bien l’admettre: j’essaie de me faire exclure de Lettres québécoises depuis ma première chronique. Que voulez-vous, je ne suis pas une fille de gang (sauf s’il s’agit d’un gang bang). Et les institutions – surtout lorsqu’elles sont vénérables – me donnent envie de jouer du marteau-piqueur. Trouble oppositionnel avec provocation, qu’ils disent dans le DSM-5. Chipie insupportable, me dit
l’une de mes amoureuses qui a cessé il y a longtemps de me lire pour préserver ce qui lui reste de patience et de bonne volonté. J’ai tout essayé, je vous l’assure: j’ai ridiculisé les prix littéraires et les subventions du Conseil des arts, j’ai comparé le métier d’écrivain·e à celui de fouetteur·se de culs, j’ai fait l’éloge du plagiat, j’ai fait de l’incitation au vol à l’étalage et j’ai même raconté cette fois inoubliable où j’ai branlé une bite à l’intérieur d’un vagin. Chaque fois, je m’attendais à me faire expulser; chaque fois, on m’a dit que tout était marvoulousse. C’est la pire chose qui puisse arriver à une provocatrice primaire telle que moi, vous vous en doutez bien.
Toute cette acceptation bienveillante me donne la nausée. Il n’y a que le cash qu’on me verse pour mes chroniques qui mette un peu de baume sur mon cœur blessé. (Je suis anarchiste, mais j’aime quand même les bidous. C’est mon seul défaut, que saint Kropotkine me pardonne.) Au pied du mur, il ne me reste plus beaucoup de choix pour connaître enfin la joie sublime de l’exclusion.
Voilà pourquoi j’ai décidé, pour cette chronique, d’adopter l’approche la plus mercantile et la plus méprisable qui soit: celle de l’autopromotion pas subtile du tout de mon dernier livre. Tout le monde sait qu’il existe une règle non écrite qui stipule que les individus qui ont l’insigne privilège de rédiger une chronique dans une revue culturelle prestigieuse doivent avoir le bon goût et la retenue de ne pas ploguer leur shit comme le dernier des colporteurs. Je crois que c’est le seul tabou qu’il me reste à briser. Si ce n’est pas le fond du baril, je me demande ce que c’est. Here goes.
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Hey les jeunes! Les vioques aussi! (Je ne suis pas sectaire, han.) Savez-vous que vient de paraître aux éditions du Remue-ménage une version tordue et corrompue du roman le plus célèbre de Laure Conan? Ça s’intitule Angélique de Montbrun et c’est publié sous le pseudonyme de Félicité Angers.
Je me cache sous deux épaisseurs de pseudonymes, c’est dire à quel point je n’ai aucune envie de passer à Tout le monde en parle.
L’idée de ce livre m’est venue lorsqu’une de mes connaissances s’est plainte de devoir lire le roman de Conan dans le cadre d’un de ses cours universitaires. Je me suis dit que ce serait très savoureux s’il existait un autre livre qui aurait à peu près le même titre et la même trame narrative, mais bourré de scènes de sexualité explicite. Le quiproquo donnerait lieu à des résumés de lecture divertissants pour tous·tes ces pauvres chargé·es de cours et profs qui, comme chacun·e le sait, sont mort·es à l’intérieur depuis si longtemps.
Évidemment, je ne pouvais pas me contenter de parsemer le roman d’obscénités. J’ai graduellement grugé le texte de l’intérieur pour qu’il n’en reste plus rien lorsqu’on arrive au dernier tiers du livre. L’œuvre de Conan cède alors la place à une aventure rocambolesque faite de délires mystiques, de consommation de champignons magiques, de séances de BDSM dans une commune anarchogaspésienne catholique autogérée. Le tout dans la joie, la bonne humeur et de multiples plagiats éhontés que les lecteur·rices s’amuseront à identifier.
Avouez que c’est alléchant. Je suis sûre que vous avez envie de vous taper cette brique de plus de trois cents pages – surtout qu’elle comprend des illustrations érotico-rétro surréalistes d’Oras Sivi, une artiste talentueuse que vous avez le devoir de découvrir (sinon je vais me mettre à bouder et ce sera tant pis pour vous).
Angélique de Montbrun est en vente dans toutes les bonnes librairies indépendantes, ainsi que dans les mauvaises librairies pas indépendantes du tout. Je vous conseille toutefois de voler ce livre à l’étalage, parce qu’avec l’inflation et la hausse des loyers, on ne va quand même pas se mettre à engraisser Blaise Renaud par-dessus le marché. Angélique de Montbrun est le cadeau idéal à offrir à Noël, Hanoukka ou Festivus – si vous en avez assez de fréquenter votre parenté. Utilisez le code promo «RIEN-À-BRANLER» pour ne pas obtenir de rabais et vous couvrir de ridicule!
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Bon. Visiblement, ça n’a pas fonctionné, puisque vous avez fini de lire cette chronique. La prochaine fois, je vais trouver autre chose. Ce sera si outrageant que vous n’entendrez plus jamais parler de moi, promis-juré-craché.
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