Premières impressions | Meilleures publications
l’Intercollégial des publications littéraires et artistiques, Premières impressions, est un évènement créé par le Cégep de Saint-Jérôme qui invite les comités de publications littéraires ou artistiques de tous les établissements de niveau collégial du Québec à une fin de semaine où leur sont proposées nombre d’activités qui visent à partager les pratiques d’édition, célébrer la création et mettre en valeur les publications étudiantes. La cinquième édition de cet événement a eu lieu lors de la fin de semaine du 25 au 27 avril 2025. Dix-huit cégeps, venus d’aussi loin que l’Abitibi, Jonquière ou Sherbrooke, étaient présents. Nicholas Giguère (corédacteur en chef) et Alexandre Vanasse (éditeur et directeur artistique), étaient sur place pour piloter la conception d’une revue et pour remettre un prix aux meilleurs textes étudiants. Le jury, constitué de Nicholas Giguère, Mégane Desrosiers, Alexandre Vanasse, Pattie O’Green, Marie-Hélène Poitras et Pierre Lefebvre, ont notamment sélectionné le meilleur texte en prose et le meilleur texte de poésie.

Meilleur texte en prose
OUVERTURE DU RIDEAU | Camille Farré | Cégep du Vieux Montréal
Boîte aux lettres. Facture d’électricité, carte postale, lettre mystérieuse. Enveloppe déchirée. Invitation! Mariage. Prévisible.
Fard à paupières. Vert ? Marron ? Rose ? Couleurs apposées sur la main. Main contre la tempe. Représentations mentales. Moue. Longue hésitation… Choix. Application minutieuse. Estomper le mal-être.
Arrivée. Grandes portes de bois massif. Château loué. Survol de la pièce. Rencontre impromptue : amie d’enfance. Enchantement mutuel de politesse, points en commun mentionnés, regard inquisiteur, sourire gêné. Blanc. Question banale. Réponse évidente. Mention d’une réalité dépassée. Affrontement : image brutale. Carcan. Envie urgente. Prétexte facile. Porte fermée. Respirations haletantes.
Reprise de contrôle. Intégration au groupe. Tentative de blague, rires des autres, bouffée de plaisir. Validation. Changement de perception. Identité imposée. Se conformer, accepter le rôle, ne pas sortir du cadre, prévoir les prochaines répliques. Toux.
Gorge serrée. Mots coincés. Soif ? Un verre. Décision à prendre. Connaissance limitée. Demande aléatoire : vin rouge. Approche de la bouteille. Danse répétée du serveur. Goûte pour tester, verre tendu, gorgée, lèvres plissées. Saveurs inconnues. Hochement de tête. Verre rempli. Regret du choix.
Amertume généralisée.

Meilleur texte poétique
J’AI OUÏ DIRE QUE LA FEMME | Marilou Laforge | Collège Ahuntsic
lit défait sept heures trente
pour faire semblant d’être déchiffrée captée saisie
j’ai passé ma nuit à tisser
mes yeux mes lèvres mes tendons
mes épaules mon cou ma colonne
mes seins mon ventre ma taille
mes cuisses mes genoux mon sexe mes chevilles
passé la nuit à me composer
encore et encore
pour me réveiller en un seul morceau
un quelque chose qui ressemble à une femme
une image comme un mensonge
une Cassandre masquée
de la tête aux pieds
J’ai ouï dire que la femme
Existe dans la traduction immuable
lit défait sept heures trente
matin froissé
de la ficelle ébouriffée sur mon front
aiguilles de pastel emmêlées avec l’édredon
plan rapproché sur mon corps matelassé
caméra au silencieux
vidéo transcription
mes doigts se cramponnent
au beau diadème de princesse de l’est
qui s’échappe dans l’esthétisme chiffonné
lit défait à toute heure
le roi, la reine et le petit prince
sont venus marteler mon alarme
la courbe du feu d’artifice ascendant
arrondit mes yeux sourds
flottement des cils
draps loin du contour
sur mon ventre des rayons
de soleil sur la pointe des pieds
lumière ballerine en régression
qui déboule sur la couverture
cadavre de chrysalide
sur la taie d’oreiller
sept heures trente bon matin
heure de corde à sauter ensoleillée
je saute plus haut que les moutons
dis-moi le nom de ton cavalier
vertiges de l’inconscient
je peine à m’étirer
étendus machinalement
des ficelles rouges sur les draps
des chaînes carmin à la base du lit
des quarts de lune en miettes
des câbles d’automne
qui empêchent mes pieds de tomber
dans l’abîme des monstres sous
le
lit
cuisine sept heures quarante-cinq
je traque le fil qui s’allonge à chacun de mes pas
rêves serrés à l’extrémité de mes mains
je les dépose délicatement
dans le rond d’huile dans la poêle
avec le petit œuf jaune qui frétille
huit heures, j’ai brûlé le soleil
qui ébouillante et gargouille
qui s’étiole sur le labyrinthe de mon plancher
soleil calciné assaisonné d’eau salée
de gouttes de nuages
J’ai ouï dire que la femme
Se gargarise de la parole d’autrui
Pour embellir ses cuisses de dentelle
déjeuner, entente tacite de société
dont le choix m’appartient désormais
je fouille dans mes réserves
ailes d’Icare congelées
étoiles dans mes placards
des céréales et des plumes cirées
croquants en travers de ma gorge
dégeler un steak de Minotaure
pour les calories et la force
me baptiser Patrocle revêtir l’armure
moi je voulais être soldat
troquer le couteau à beurre
contre l’épée athénienne
je crie au leurre
moi, je voulais être soldat
venger le père et le fils ce matin
dans mon assiette et non en esprit
sans détour et sans dédale
cavalière de la vérité fondamentale
aux colliers argentés
polis par la terre retournée
j’aurais voulu être une amazone Hippolyte corsetée de métal
la ceinture au fond de l’estomac
cœur de cuir à la mode
J’ai ouï dire que la femme
Confesse sa fatalité en images
Dans tous les éviers du quartier
je suis une Pénélope divorcée
qui s’impatiente et s’écorche
de vouloir vivre son odyssée
une épée affamée à la main
ustensiles qui ignorent l’étiquette
je m’empiffre de nébuleuses
j’exhibe un visage pailleté
je veux barbouiller les traits
que toutes héritent d’Hélène
dans l’espoir de colorier mes os
de rose pétillant et enflammé
je mastique ma salive
mon granola aux constellations filandreuses
pour me lustrer d’une délicatesse d’amante
j’astique mes articulations
un joli bibelot de duvet en guide de centre de table
pour les yeux du guerrier au canon
j’apporte la touche de finition
le briquet au bout de ma langue
scelle les nœuds de mes genoux
qui arrêtent de respirer
pour ne pas casser le bracelet
de perle de mon berceau
J’ai ouï dire que la femme
Respire dans l’harmonie de ses courbes
Après le frémissement de l’attente
Et l’abandon des chapeaux de sorcière
au service ce matin
un plat de phosphènes colorés
pour échapper à la dislocation
de ce que la fée des dents m’a volé
jus de fruits grenade sur mes lèvres
j’ai mis trop d’huile dans la poêle
cuisine brûlée et cordes consumées
céréales sucrées pleines de fer
odeur familière nostalgie étouffée
des pyjamas bleutés de télé
des albums gondolés
des vêtements tachés de l’insouciance
d’un enfant qui mord à pleines dents
mes souvenirs prennent place
dans le moule de ma langue
les ongles en bulles
l’eau chaude efface les empreintes
qui s’accrochaient à la balançoire
régénération des cellules mères
dans la mousse bleue des adultes
salle de bain huit heures trente
le fil dans le creux de mes dents
immaculées
d’un marbre usé
miroir miroir dis-moi qui est la plus belle
pomme de la discorde
coincée au fond de ma mâchoire
accrochée à une gorge satinée
du rouge sur mes pommettes
teinte d’effroi copiant le froid hivernal
je dessine des cercles sur mon visage
je colle mes yeux avec soin
les perce d’une petite aiguille
un crayon rouge et j’apprends à dire
je manie ma peau avec expérience
ce que la pâte à modeler m’a appris
odeur de plastique contrôlée
quand je n’étais qu’une enfant
qui agitait ses jambes entortillées dans sa robe
qui détournait le regard devant le rose
je traîne cette défiance dans mon sac
peur d’être une demi-femme peur d’échouer dans l’absolu
je subis la métamorphose des bougies
de l’artiste à la statue amoureuse
tout pour me farder sans la gêne impostrice
endimanchée tous les jours de la semaine
sauf le dimanche entière à mon repos
après l’aurore, sous les marques rugueuses
je ne suis qu’une enfant
qui tremble sous le mascara
huit heures quarante-cinq
flottement des cils incinérés
pyromane de l’Antiquité dans mon cœur
un iris incandescent
dans la spirale effervescente
de la fumée du thé
que j’ai laissé dans mon armoire
l’estomac à l’envers
j’entends la mer qui oscille à mes pieds
un coquillage tout gris à côté du savon
hystérie de beauté rouge
rouge à lèvres pomme grenade
mes bracelets vermeils enchevêtrés
les gestes robotiques et les engrenages rouillés
j’habite le contrapposto cambré
de celle qui flambe ses entrailles
pour la survie de la mascarade
J’ai ouï dire que la femme
Réclame l’amour comme son dû
Avant qu’un enjoliveur dégringole
Et sabote l’œuvre
j’ai la connaissance maudite
de la symétrie hypnotisante
de mes poupées arcs-en-ciel
que les Playmobil ont déconstruites
miroir miroir dis-moi qui est la plus belle
l’embryon naturalisé aux yeux papillons
contre le scarabée maquillé
qui gémit sans cesse l’appel d’un dieu
demi-femme insecte difforme
qu’on recrachera dehors
dans une bulle de verre
des doigts d’Arachné palpent
les Alpes de ma respiration
la toile tendue de ma cage thoracique
contemplation à contre-jour
je me suis empaillée
comme si je n’avais jamais rencontré
une seule vraie femme
rivalité de sang
colère de terre que je déglutis
penchée au-dessus de mon lavabo
J’ai ouï dire que la femme
Resplendit au départ de l’esthète
Le cœur dégoulinant sur le sèche-linge
trottoir neuf heures
reflet dans toutes les vitrines
Madame déambule
les membres rembourrés
et le fil sauvage
travail de la nuit gommé
Madame a des talons hauts
qui affirment sa dominance
Madame est élégante
dans sa démarche
Madame est femme
une pelote de laine
qui s’effiloche entre les arbres
Madame aux talons hauts
ne se tord jamais une cheville
elle somnambule
ivresse des visages
élan des muscles vers Ithaque
la composition nocturne croule
sous la montagne de pupilles
un voile de charbon dans mon sillage
le claquement des souliers
traduction libre de droits offerte aux passants à l’oreille musicale
trottoir neuf heures et quart
quart de femme rampe
enfant qui sautille sur une jambe
un équilibre précaire
quart de femme vomit
des vagues de laine rêche
des aiguilles des boutons
cacophonie des histoires
abattoir au féminin
haletante au pied du trottoir
je creuse mes genoux contre le pavé
je ne tiens qu’à un fil
Mesdames messieurs j’ai noué mon fil d’Ariane
venez m’arracher un fragment d’organe
ne fuyez pas devant une menteuse guillotinée
qu’on ne découvre qu’à sa mort
j’ai mal compté mes nœuds
et je m’échappe en pleine rue
un amas de fils
aussi grands qu’une maison de poupée
je suis une enfant tachée de pattes d’araignée
qui se délecte de son enveloppe
une enfant aux doigts myopes
qui déchire l’étoffe de la crinoline
de ses hanches orphelines
de son corps droit et tapissé
d’écume moutonneuse couleur vin rouge
Mesdames messieurs, trinquez sur ma tête d’entre-deux
J’ai ouï dire que la femme
N’est jolie que lorsque son ombre
Séjourne sous terre
Que dire de plus
Que
de
se
taire
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