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Archipels aériens

L’afrofantasy est assez méconnue chez nous, mais peut-être plus pour longtemps: avec La respiration du ciel, premier roman de ce genre paru au Québec, l’autrice Mélodie Joseph nous y initie de belle façon.

Littératures de l'imaginaire

L’afrofantasy est assez méconnue chez nous, mais peut-être plus pour longtemps: avec La respiration du ciel, premier roman de ce genre paru au Québec, l’autrice Mélodie Joseph nous y initie de belle façon.

Comme son nom l’indique, l’afrofantasy constitue une branche de la fantasy dans laquelle l’histoire, les personnages et l’arrière-monde sont fortement influencés par les cultures ainsi que les traditions afrodescendantes. Mélodie Joseph, primoromancière aux racines martiniquaises, affirmait, dans une entrevue accordée au journal Le Devoir, qu’elle n’avait pas tenté de présenter d’emblée son projet comme appartenant à ce genre; elle avait plutôt misé sur ses qualités et ses particularités – et avec raison.

C’est que, bien au-delà du courant dans lequel il s’inscrit, La respiration du ciel, paru en février 2023 dans la collection «VLB Imaginaire», inaugure surtout ce qui s’annonce comme une tétralogie enlevante promettant aux lecteur·rices un voyage mémorable.

Une quête de soi, de la Tourmente aux Quatre archipels

Olive n’est pas une enfant ordinaire: lorsqu’elle est retrouvée au fond des Limbes toxiques de la Tourmente par Neige, un homme appartenant au peuple des Solitaires, elle parle un dialecte inconnu et ne semble pas savoir qui elle est ni d’où elle vient. Son visage laisse également voir des marques colorées – caractéristiques d’une nation disparue depuis longtemps – qui attisent la méfiance de tous·tes. Si elle peut d’abord compter sur Neige pour qu’il prenne soin d’elle et lui apprenne la langue archipélienne, Olive comprend vite que se tailler une place parmi les Solitaires sera ardu. Elle n’appartient pas à la Tourmente et ne devrait pas y grandir.

Lors d’une expédition en montgolfière vers les îles flottantes des Quatre archipels, où il fera du commerce, Neige profite du sommeil de sa protégée pour l’abandonner dans un orphelinat, lui donnant ainsi la chance d’accéder à une vie bien meilleure que celle qu’il pouvait lui offrir. Cette trahison est un dur coup pour Olive: incapable de retourner d’où elle vient, sans famille ni repères, elle se voit contrainte d’aller de l’avant et d’affronter l’inconnu, la tête haute.

Au fur et à mesure qu’elle découvre les fondements du monde qui l’entoure et qu’elle s’efforce de comprendre sa nouvelle réalité, la protagoniste prend conscience qu’il existe en elle un pouvoir d’une grande violence – un pouvoir dont l’éveil brutal semble coïncider avec le retour de plusieurs pans de sa mémoire.

Un univers complexe et savamment construit

Il est particulièrement aisé de plonger dans l’univers élaboré et mis en mots par l’autrice: avec son écriture simple et fluide, elle réussit à nous catapulter sans peine dans l’immensité du ciel et de ses multiples îles aériennes, nous offrant ainsi une immersion complète qui dure tout au long de la lecture. L’arrière-monde est riche et vibrant: on y devine les siècles d’histoire qui ont façonné le présent du roman, ses mythes, ses peuples, ses guerres et ses croyances. Ce foisonnement explique que le récit est un peu lent au début, mais cela n’a rien d’inhabituel en fantasy, surtout dans le premier tome d’une série. La cadence soutenue qui s’installe dans le reste de l’ouvrage excuse sans trop de mal ce défaut.

Les lecteur·rices prennent donc plaisir à percer les mystères des Quatre archipels au même rythme qu’Olive, qui constate à ses dépens à quel point l’Histoire officielle recèle souvent de nombreux angles morts, et qu’il est d’autant plus difficile de trouver sa place lorsqu’on a été effacé·e des livres.

Des vies fictives… mais pas que

Les récits de fantasy ont beaucoup plus en commun avec notre réalité que les gens tendent à le penser. S’ils sont généralement originaux et singuliers, voire épiques, les mondes inventés de toutes pièces et les personnages qui les peuplent témoignent d’une expérience humaine et universelle, présentée dans des cadres éclatés et différents du nôtre.

Désir de vengeance, intolérance face à l’inconnu, recherche d’un sentiment d’appartenance, deuil, peur, soif d’apprentissage et nécessité d’obtenir des réponses à leurs questions: Olive et les multiples personnages qu’elle croise sur sa route sont animé·es par des motivations crédibles, sensibles et fort bien campées. L’écrivaine évite habilement le piège du manichéisme: il aurait été pourtant facile de considérer le peuple perdu d’Olive comme foncièrement bon, et les archipélien·nes ayant causé sa chute comme des incarnations du mal. Or, on comprend, au fil des pages, que la situation n’est pas aussi simple, selon l’angle sous lequel on l’envisage. Et on a hâte à la suite pour en apprendre davantage!

En somme, le plaisir que j’ai éprouvé à la lecture de La respiration du ciel et les nombreuses qualités de ce premier roman m’incitent à le recommander sans hésiter aux amateur·rices de fantasy comme à celles et ceux qui souhaitent s’y initier en douceur.

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Mélodie Joseph
Montréal, VLB éditeur
2023, 306 p., 32.95 $